« Les autres ne pensent pas comme nous » de Maurice Gourdault-Montagne
Les leçons de 40 ans de carrière diplomatique
Maurice Gourdault-Montagne (que nous surnommerons ici MGM) a occupé des postes parmi les plus prestigieux de la diplomatie française. Il a notamment été Ambassadeur de France au Japon (1998-2002), au Royaume-Uni (2007-2011), en Allemagne (2011-2014) et en Chine (2014-2017). Il fut également directeur de cabinet du Premier ministre Alain Juppé (1995-1997) et de conseiller diplomatique de Jacques Chirac (2002-2007).
Cette note de lecture porte sur « Les autres ne pensent pas comme nous » (2022), ses mémoires et leçons issues de 40 ans de carrière diplomatique. C’est un livre passionnant que je recommande. Ci-dessous, vous trouverez les 4 points importants à retenir. Pour les plus curieux, vous trouverez plus bas mes notes de lecture complètes sur ce livre.
Les 4 points à retenir :
“Il faut chercher à comprendre, encore et toujours, le monde qui nous entoure en étant convaincus, une fois pour toutes, que les autres ne pensent pas comme nous ! La devise de toute ma vie” : un principe que MGM s’appliqua durant toute sa carrière. Il est nécessaire de se mettre à la place des autres pour essayer de comprendre les cadres mentaux et culturels dans lesquels ils ont grandi, ceux-ci étant souvent très différents des nôtres. Cette évidence, souvent perdue de vue, est bonne à rappeler.
A travers sa carrière, on voit apparaître les permanences et les bouleversements des pays dans lesquels MGM a servi :
un Royaume-Uni très fier, à raison, de ses particularismes et de sa tradition parlementaire ;
une Allemagne où le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et de la partition du pays reste très présent dans les consciences ;
une Chine qui n’a pas oublié les humiliations infligées par les Occidentaux il y a 150 ans et pour qui l’unité du territoire est fondamentale ;
le Japon, sa civilisation d’un raffinement exceptionnel, fier de son identité unique et très intéressé par la culture française.
Il est élogieux sur Chirac et son action diplomatique : un président très impliqué dans les affaires du monde et soucieux de la bonne exécution de ses décisions. La passion de Chirac pour les arts et les cultures asiatiques en ont fait un président très apprécié en Asie et en particulier au Japon.
“On peut se demander, et cela m'effraie car ce n'est pas notre projet national, si la France, une et indivisible, n'est pas parvenue à un point de son histoire où un communautarisme ne va pas finir par s'imposer sans être assumé, organisé et encadré, chez des populations qui sont vouées à partager le destin de notre pays” : MGM est inquiet concernant l’avenir de la France. Il voit un pays fragilisé et en cours de libanisation.
Cela fait écho aux analyses de Pierre Brochand, un autre ancien ambassadeur et ex-directeur de la DGSE de 2002 à 2008, qui alerte sur cette fragmentation : “A partir de mon expérience de diplomate et à la DGSE, je me suis aperçu au fil du temps, non sans une certaine surprise, que les leçons que j’avais tirées de mon parcours devenaient de plus en plus pertinentes pour l’intérieur des frontières puisque tout simplement par le biais de l’immigration, notre dehors était devenu notre dedans”. Sur ce sujet, je recommande cette émission de France Culture, où Pierre Brochand débat avec Didier Leschi, Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
Note de lecture
Plan
Avant-propos
I. La diplomatie
II. La Guerre en Irak
III. La Russie
IV. L’Europe
V. L’Algérie
VI. Le Royaume-Uni
VII. L’Allemagne
VIII. La Chine
IX. Le Japon
X. L’Inde
XI. Le Ministère des Affaires étrangères
XII. La France
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Avant-propos
“J’ai rassemblé ce souvenirs en pensant qu’être diplomate, c’est aller avec curiosité à la rencontre de gens dont il faut admettre avec humilité que par leur culture, leur histoire, leur géographie, leur environnement et leur langue, ils sont différents de nous, et que si l’on veut défendre et promouvoir les intérêts de la France, les comprendre nécessite une attention particulière”
“Un Allemand n’est pas un Français qui parle allemand” lui a dit un jour un de ses grands anciens : cette remarque, malgré son évidence, est souvent perdue de vue
“Par-delà ses positions politiques, chaque peuple porte en lui une charge d’émotions collectives qui lui est propre et qui conditionne sa perception du monde et sa relation aux autres”
Certains diplomates du sud voient la guerre en Ukraine comme un “conflit régional entre Blancs”
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I. La diplomatie
“la vie internationale est rude, la compétition âpre, les sentiments inexistants”
“il n’y pas de diplomatie sans les mots qui positionnent ou accompagnent l’action d’un État”
Talleyrand, ministre des relations extérieures : “En politique, il n’y a pas de convictions, il n’y a que des circonstances”
Les collaborateurs du chef de l’État sont portés par la dimension charismatique de la figure présidentielle. Spécificité française, liée à la concentration des pouvoirs : source d’engagement et de dépassement de soi pour les collaborateurs. Mais phénomène de cours
MGM très élogieux à propos de Chirac :
gros travailleur, il était d’une courtoisie et égalité d'humeur qui facilitait la tâche de ses collaborateurs.
Très soucieux de l'exécution, il n'hésitait pas à appeler le fonctionnaire en charge. Il énonçait le titre des gens, pour bien leur rappeler leur responsabilité : procurait de la fierté chez le fonctionnaire. Technique de gestion des hommes très efficace : pousse les hommes à se surpasser.
Macron a cru qu’établir de bon rapports personnels avec Trump réduirait son isolationnisme. Il fallait le tenter mais il a surestimé sa capacité de séduction
Avec Erdogan, seul importe le rapport de force.
Il existe un lien étroit entre la situation intérieure d’un pays et sa politique extérieure. La France apparaît fragilisée (gilets jaunes, réforme retraite). Pas de grande politique étrangère sans société apaisée, économie dynamique et finance assainies.
MGM cite Kishore Mahbubani : la parenthèse de 4 siècles de la domination occidentale prend fin
Exacerbation de la foi : qu’adviendrait-il si des radicaux de la foi arrivaient à la tête d’Etats disposant de l’arme nucléaire ?
MGM regrette la suppression du corps diplomatique.
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II. Guerre en Irak
2002 - 2007 : il est conseiller diplomatique de Chirac.
L’interlocutrice de MGM durant ces années : Condoleeza Rice. Une femme d’exception
Chirac ne veut pas de cette guerre : il sait qu’elle déstabilisera toute la région
Les Américains veulent agir vite.
Discours de Villepin à l’ONU : personnellement travaillé, il sera relu par Chirac. “Chacun mesure la gravité du propos”
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III. La Russie
La Russie avait rejoint la France dans l’opposition à la guerre en Irak.
Chirac voulait profiter de cette opportunité pour apprivoiser “l’ours russe”.
2006 : point culminant du rapprochement avec la Russie. Le sherpa russe émet l’idée que la Russie rejoigne la France et l’Allemagne dans le pacte d’actionnaires d’EADS. Idée mort-née : la négo entre la France et l’Allemagne avait déjà été difficile, trop dur de rouvrir le dossier.
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IV. L’Europe
Crise de 2008 : sous l’impulsion décisive de Sarkozy (sommet de Paris du 4 octobre 2008), soutenu par G. Brown, les Européens poussent les US et un Bush en fin de mandat à protéger les dépôts des particuliers, garantir le refinancement des banques et assurer la continuité de l’accès au crédit pour les entreprises.
=> le tandem franco-britannique se substitue au traditionnel couple franco-allemand pour proposer une sortie de crise
“Cette crise mit au grand jour combien le Royaume-Uni était pour nous un partenaire essentiel, autant qu’un pays indispensable à l’équilibre européen. Davantage encore que l’Allemagne qui, 2 fois brisée dans ses ambitions mondiales par des défaites qui l’ont obligée à reprendre des forces en se repliant sur elle-même, la Grande Bretagne partage encore avec la France une vision globale et historique des problèmes du monde, héritée de son passé colonial, de son statut de vainqueur dans les guerres mondiales, de se position de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est d’ailleurs largement aux Anglais - à Churchill en l'occurrence - que nous devons notre propre position.”
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V. L’Algérie
Respect mutuel entre Chirac et Bouteflika : celui que se vouent naturellement 2 anciens combattants d’un même conflit (La Guerre d’Algérie)
Pas question pour Chirac d’accepter que la France fasse repentance comme l’avait réclamé Bouteflika devant l’Assemblée nationale française
“Le Maghreb est entravé par un certain nombre de blocages dont l’Algérie est largement responsable”.
A lire : “L’énigme algérienne” de Xavier Driencourt (2x ambassadeur de France en Algérie)
La question centrale des visas. Ils sont passés de 50 000 à la fin des années noires à 400 000 en 2018. Gouvernement algérien demandent hausse des visas : “témoigne du besoin de respiration de la société civile comme de la profondeur des liens entre nos deux peuples”
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VI. Le Royaume-Uni
“L’Angleterre est une île avec ses codes, ses rites, ses références et ses personnages, qui donnent lieu à une véritable mythologie de la glorification. Outre-Manche, on aime la flamboyance, et on vénère celles et ceux qui l’incarnent. On se sent toujours du côté des gagnants de l’histoire.” Un peuple qui a inventé le parlementarisme.
“L’Angleterre croit profondément qu’il n’existe pas de grand dessein politique qui ne soit d’abord et avant tout national. Le parlement de Westminster, père de tous les parlements, est la source de la légitimité politique.”
Amiral Nelson, vainqueur de Trafalgar et le duc de Wellington, triomphateur de Waterloo, sont partout (rue, statues, fresques etc..)
Londres est une ville où les marchands se sentent à l’aise. Une cité où voisinent traditions ancestrales et une liberté d’expression inégalée.
La forte amitié franco-britannique :
Les musées anglais ont une connaissance très fine de l’art français
“on mésestime la vaste connaissance que les habitants du Royaume-Uni ont de notre pays, de l’amitié et de l’intérêt qu’ils nourrissent pour lui”
L’anglais : “une langue plus directe, plus compacte, peut-être plus concrète et accessible que la nôtre, qui reflète une façon de penser le monde”
Les 2 défis essentiel du Royaume-Uni :
Maîtrise des flux migratoires. Fort séparatisme islamique
Impact du Brexit sur la situation en Écosse et Irlande du Nord
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VII. L’Allemagne
Un pays très important dans la carrière de MGM : diplomate en RFA entre 1989 et 1991 puis ambassadeur entre 2011 et 2014
Napoléon : “à Bonn, on le vénère. À Cologne, on le déteste”. En fonction des alliances de Napoléons avec les souverains locaux.
De Gaulle va réhabiliter l’Allemagne dès son retour au pouvoir en 1958. “Le Général, à l’instar de beaucoup d’hommes de sa génération, était pétri de culture germanique”. Discours lors d’un déplacement de CDG en Allemagne en 1962 : “Vous êtes les enfants d’un grand peuple”, dans une Allemagne en proie à un sentiment d’intense culpabilité
L’axe franco-allemand n’a rien de naturel : il doit être cimenté par les valeurs et par les hommes. Car France et Allemagne sont des pays très différents : la France n’a pas eu à lutter pour trouver son unité à l’époque moderne.
Les traumatismes allemands :
Les Allemands ont vécu pendant 40 ans dans un pays coupé en 2 : pour nous, c’est comme si la ligne de démarcation était devenue une “frontière infranchissable entre le nord et le sud de la France, gardée par des miradors et patrouillées par des soldats. On a peine à mesurer les conséquences qu’une telle situation aurait généré sur la mentalité collective”.
En 1945, 12 millions d’allemand réfugiés provenant de provinces désormais polonaises. Plus grande ampleur que le retour des rapatriés d’Algérie.
Fédéralisme : il y a “des Allemagnes”. 16 Länders, dotés d’un gouvernement dirigé par un ministre-président. Par exemple, les Länders ont la compétence sur l’éducation et la culture. Les ministres français ont donc 16 interlocuteurs sur ces sujets.
Émouvante scène quand, fin 1989, MGM part à la frontière RFA/RDA avec un autre diplomate français (qui est aujourd’hui l’ambassadeur de France en Allemagne) et un ami allemand, et que ce dernier pleure de joie quand il se rend compte que les grillages sont sectionnés et que frontière entre les 2 Allemagne n'est plus. Un beau passage
Les allemands ont le sentiment que la France n’a pas soutenu la réunification.
A propos d’une rencontre avec Helmut Schmidt : “L'ancien chancelier me parle ensuite de la France. C'est à ses yeux le pays qui détient tous les atouts pour exercer une force d'attraction et d'entraînement dans l'Union européenne. “Vous avez la démographie, les infrastructures, un haut niveau d'éducation et de formation, vous êtes une puissance militaire et maritime, vous avez une influence culturelle. Si vous savez réinventer votre modèle sur le plan économique et social en procédant aux réformes indispensables, vous aurez une position dominante en Europe et exercerez un leadership au bénéfice du continent.” Je sentais que ce n'étaient pas des propos de circonstance pour flatter le représentant de la France que j'étais, mais l'expression d'une vraie conviction, livrée dans le huis clos d'un entretien sans enjeux.”
Très forte relation personnelle entre Schröder et Chirac. “Les 2 hommes aiment la vie,la bière blonde et la bonne chère”
Merkel : une femme méthodique
Nous français aurions souhaité qu’elle soit plus audacieuse (investir les excédents germaniques pour soutenir la croissance)
“Je voyais que Sarkozy incarnait aux yeux de Mme Merkel le caractère imprévisible des français, cette capacité d’improvisation qui exaspère les Allemands, mais qu’il nous envient parfois secrètement, tant elle permet de s’adapter aux évènements”.
Les ressources de l’Allemagne ont été concentrées sur la réunification : 2 000 milliards investis en 20 ans. Malgré le vieillissement, ce coût a relégué au second plan la mise en œuvre d’une politique familiale ambitieuse
1 millions de migrants accueillis en 2015, dont 500 000 sont finalement allés dans des pays voisins. La chancelière voulait transformer l’image du pays, en rompant avec la réputation de xénophobie héritée du IIIème Reich ? “Je ne pense que cette hypothèse n’est pas à écarter”
MGM inquiet du haut niveau d’immigration : double allégeance (All. - Turquie), demandes de jugements selon la charia dans certaines régions à forte immigration.
“La Bundeswehr est l’armée du Bundestag : c’est lui qui en définit les modalités d’emploi sur les théâtres d’opération”. En France, domaine réservé du PR
Il est nécessaire de revivifier la relation entre nos 2 peuples.
VIII. La Chine
MGM en charge du dialogue stratégique franco-chinois en tant que représentant personnel du président de la République entre 2002 et 2007. Puis ambassadeur en Chine de 2014 à 2017.
“La Chine a d’abord une histoire qui constitue l’épine dorsale de sa conscience collective”.
5 000 ans d’histoire. La civilisation égyptienne a disparu, la Chine est toujours là.
“La Chine et l’Occident restent 2 planètes, 2 astres aux civilisations éloignées, qui ont besoin de passeurs pour trouver un terrain d’entente et nouer des coopérations fructueuses”. Chirac fut un de ceux-là, grâce à sa passion pour l’art et l’histoire de la Chine. Chaque jour, il lisait des revues sur l’art chinois, les stabilotant parfois pendant les longues réunions des conseils européens. Anecdote lors de la visite d’État de Chirac en Chine en 2004 :
Sur le souvenir des humiliations chinoises subies au XIXe siècle :
“Quand on visite les ruines du palais d'été, mis à sac, pillé de ses trésors par des troupes françaises et anglaises en 1860, on imagine quel aurait été notre traumatisme si un peuple lointain était venu vandaliser le Louvre ou Versailles. On en mesure également l'impact sur la mémoire collective nationale lorsqu'on perçoit que l'esprit de revanche est facile à mobiliser, tant la blessure est encore récente à l'échelle de l'Histoire.”
Sur l’unité du pays et la question taïwanaise :
“La conscience d'une unité profonde, culturelle, autant voire l'État en faveur du patrimoine immatériel du pays. La langue, plus que politique, de la Chine s'incarne dans l'effort de les idéogrammes et la pensée chinoise font ainsi l'objet d'une attention de tous les instants, nous rappelant que, partout dans le pays, on lit et on écrit la même langue, qui reste le véritable ciment de la cohésion de l'Empire du milieu.
C'est cet attachement viscéral à l'unité nationale qui explique l'extrême sensibilité de Pékin à l'égard de Taïwan. Taïwan est non seulement la province perdue, mais aussi la source d'une légitimité concurrente, née en 1949 et jamais tarie depuis lors. La persistance de la sécession organisée par Tchang Kaï-chek et ses héritiers politiques autour de la création du Kuo-Min-Tang sonne comme un défi permanent, une résistance insupportable aux yeux des successeurs de Mao et des fondateurs de la République populaire. Pour comprendre ce que ressent la Chine par rapport à Taïwan, il faut s'imaginer une situation où le régime de Vichy aurait créé, à la Libération, un État parallèle à celui de la France libérée sur île voisine, par exemple en Corse. Cet État, qui aurait survécu à la mort du maréchal Pétain, existerait toujours et revendiquerait d'être la France. L'aurions-nous supporté? Et le supporterions-nous encore? Réagirions-nous bien devant les manifestations et gestes de soutien à ce régime concurrent? La réponse est évidemment négative et nous n'aurions de cesse que de vouloir mettre un terme à une situation que nous estimerions inacceptable à tous points de vue. Voilà pourquoi il faut imaginer que Pékin n'acceptera jamais l'admission de Taïwan dans des organisations onusiennes ou internationales, même sur un plan technique.
Sans doute la comparaison avec le régime de Vichy est-elle osée et trouve-t-elle ses limites dans la mesure où Tchang Kai-chek avait combattu les Japonais durant la seconde guerre mondiale et n'était donc pas marqué du sceau de la collaboration avec l'ennemi, mais elle a le mérite de nous faire toucher du doigt combien la question taïwanaise est pour la Chine populaire une ligne rouge infranchissable, dont les relations bilatérales avec ce pays doivent tenir le plus grand compte. Et ce d'autant plus que Taïwan, démocratie depuis quelques décennies, se réclame du soutien de régimes démocratiques en opposition avec le régime communiste de la Chine. Le général de Gaulle l'avait le premier compris, lui qui envoya en 1964 un émissaire, le général Pechkoff, un légionnaire et compagnon de la Libération qui s'était illustré au combat, remettre au maître de Taïwan une lettre l'informant qu'en dépit du respect qu'elle avait pour sa participation à la lutte contre les forces de l'axe pendant la seconde guerre mondiale, la France s'apprêtait à reconnaître la Chine communiste, au nom des réalités historiques et géopolitiques.”
Sur Taïwan :
Vendre des frégates et des Mirage en 1991 à Taïwan a été très mal pris par la Chine. On le rappelle à MGM 25 ans après. On pensait à l’époque que la Chine populaire allait suivre le même chemin que l’URSS. Grave erreur d’analyse.
Objectif de Pékin concernant Taïwan : essayer de gagner en esquivant la guerre, comme l’enseigne Sun Tzu.
Un régime totalitaire :
Légitimité de ce régime totalitaire : 600 millions de personnes sont sorties de la pauvreté et fin des famines récurrentes.
Le parti surveille l’opinion comme le lait sur le feu.
Le dirigeant d’une ville de 30 millions d’habitants dont MGM était proche : disparu du jour au lendemain. Résidence surveillée ou dans un cul de basse-fosse ? Personne ne le sait.
“J’ai connu une bonne dizaine de hauts responsables qui ont ainsi disparu de la scène, tout simplement”
2015 : campagne anti-corruption. 2 millions de cadres sont purgés. Les condamnations sont assez rares.
“Reconnaître sans naïveté la légitimité de la Chine à être traitée comme une grande puissance responsable est largement préférable à l'utilisation d'une rhétorique hostile ou au recours, trop fréquent, à des leçons de morale qui irritent nos interlocuteurs sans les impressionner, ironisant sur ce qu'ils appellent “la diplomatie du mégaphone». Les Chinois sont soucieux de marquer leur différence, mais respectent la nôtre pourvu que nous l'assumions. C'est pourquoi nous pouvons parler de tout, à condition de le faire sans arrogance. Ainsi, rien ne nous interdit de dire quelles sont nos valeurs, notamment s'agissant des libertés, et de leur rappeler leurs engagements internationaux en particulier dans le cadre des conventions des Nations unies qu'ils ont signées et souvent ratifiées.”
La France est trop petite pour agir seule économiquement dans sa relation à la Chine. Avec l’Allemagne, nous représentons par contre 8% des parts de marché de la Chine, 150 millions d’hab et 47% de l’économie de la zone €
IX. Le Japon
MGM est Ambassadeur de France au Japon de 1998 à 2002
Une civilisation à part :
Empereur : héritier de 126 génération depuis la déesse soleil Amaterasu
“Une civilisation d’un raffinement exceptionnel dans la sobriété et l’épurement”
“Le Japon est une civilisation à part, où le complexe de la citadelle assiégée est une donnée psychologique fondamentale, où la greffe avec l’étranger est quasi impossible”
“Le respect de l’autre en tant que partie prenante d’une communauté plus large, le salut au groupe, sont ancrés dans la vie sociale japonaise, expliquant l’extraordinaire discipline collective dont ce peuple est encore capable pour le meilleur et pour le pire.”
Le Japon et la France :
Les japonais admirent nos peintres et sont fascinés par l’histoire de notre monarchie et par Versailles. Ils connaissent très bien nos vins. Les Gouttes de Dieu : un manga qui se déroulent dans les terroirs français
Le Code civil est établi au Japon par le français Boissonnade (il y reste 20 ans) : sa figure est révérée aujourd’hui
Chirac : “nul autre président français n’eut là-bas un tel statut ni une telle image”. Sa passion pour l’art japonais. MGM propose la création d’un tournoi de Sumo : “la coupe Jacques Chirac”. C’est devenu un grand évènement sportif
Sur la réussite de Ghosn au Japon : ses traits de caractère l'expliquent. Il n’a pas cherché à imposer un modèle, a valorisé les japonais, s’est efforcé de comprendre leur ressort et aiguillonner leur fierté nationale.
Le piège de la “tatamisation” pour les diplomates : tellement s’imprégner de la culture locale qu’on perd de vue la dimension opérationnelle de la mission
Grands dirigeants japonais : souvent impénétrables comme les politiques, mais dissimulant des personnalités parfois étonnantes par leurs passions secrètes (collectionneurs de vin, de fleurs, d’art …)
Sur la Corée : Japon et Chine sont pour le statu quo. La réunification de la Corée créerait un rival régional de 75 millions d’habitants et puissance nucléaire.
Avec la Chine, le Japon a un socle commun de civilisation.
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X. L’Inde
MGM diplomate en Inde (1981-1984)
Plus jeune, c’est l’intérêt pour cette civilisation qui lui a donné sa vocation. Il apprend l’hindi durant ses études.
Petit scud de MGM pour Auroville (ville hippie) : “Auroville abritait ce qui me parut n’être qu’une faune de pseudo-intellectuels partisans d’un hindouisme revisité, qui ne m’impressionna guère, au contraire de l’Inde véritable, authentique, fervente, dont la vision avait été pour moi une révélation”
En 1981, quand MGM arrive à Delhi, le traumatisme de la partition est encore fort. Beaucoup de familles furent séparées. Par ex, le frère du vice-président indien de l’époque avait opté pour le Pakistan.
Quand MGM arrive en poste à l’étranger : son réflexe est de prendre contact avec les think-tank pour élargir sa réflexion
L’Inde considère l’Afghanistan comme son arrière-cours (souverains moghols étaient d’origine afghane et persane)
Visite de Mitterrand en Inde en 1982. Accueil chaleureux d'Indira Gandhi. Lancement du partenariat franco-indien, achat de 40 mirages 2000 et d’uranium enrichi.. Progression de la coopération dans plusieurs domaines. 40 ans après, “il est fascinant de constater que nous vivons toujours sur l’élan donné par une visite d’État datant de 1982”.
Les 200 millions de musulmans ont le sentiment d’être marginalisés
Un hindouisme agressif qui rompt avec le sécularisme laïc qui faisait sa force et son unité
Il retourne en Inde en 2020 : “je ressentais la largeur du fossé séparant nos civilisations, nos manières de vivre. Je constatais toutefois qu’il n’y avait pas d’obstacle infranchissable au dialogue”
Ne pas ignorer le Pakistan, “héritier lui aussi de la civilisation moghole, abritant une élite intellectuelle de haute valeur”
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XI. Le Ministère des Affaires étrangères
Un ministère où un jeune haut fonctionnaire côtoie rapidement le ministre : la chaîne hiérarchique y est assez courte
Qu’est ce qu’un grand ministre des affaires étrangères ? La recette :
Bénéficier de la durée pour inscrire son action dans la continuité historique, acquérir le respect de ses pairs
S’intéresser à l’outil diplomatique : apprendre à connaître et aimer son administration. Au Quai, la dimension humaine est prépondérante. “profond légitimisme à l’égard de l’autorité politique et d’abord de son ministre, où la fierté de servir une personnalité d’envergure constitue un élément fort de l’adhésion à l’effort collectif”
Mener des actions diplomatiques d’éclat, des actions qui restent associées à la tradition de la diplomatie française
Juppé n’était pas favorable à une intervention en Syrie. Mais redoute le massacre promis par Kadhafi aux habitants de Benghazi. Hantise du Rwanda, où la France est accusée d’en faire trop, trop peu ou trop tard.
MGM convaincu que cette intervention était nécessaire : nous aurions sur la conscience l’inévitable bain de sang de Benghazi
Sur Villepin :
MGM le connaît : ils ont étudié ensemble à Sciences po.
“Avec Chirac, il partage le goût des contrées inconnues, le souci des civilisations négligées ou méconnues, la croyance dans l’égalité des cultures”
“Villepin, c’est d’abord et avant tout un style, fait de panache, de courage, d’amour du verbe, car pour lui, le verbe, c’est l’action”
Il était fait pour être ministre des affaires étrangères.
Il aurait pu aller à la présidentielle de 2007 mais n’a pas vraiment cherché à organiser un mouvement autour de lui.
“Comme si ces combats, au fond, n’étaient pas les siens, comme si l’envie d’ailleurs l’emportait sur les servitudes de la politique intérieure, à l’égard desquelles il manifestait une indifférence polie, quand ce n’était pas un dédain ostensible pour ceux qui la représentaient quotidiennement”
Villepin est un personnage plus littéraire que politique
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XII. La France
“Sur le plan intérieur, la France est un pays affaibli et je constate qu’il est perçu comme tel à l’étranger” : ordre public n’est plus assuré, montée des violences et des trafics, appauvrissement du régalien, désindustrialisation, endettement public massif, niveau des prélèvements obligatoires. Nous n’arrivons pas à guérir nos maux.
Dans un vocabulaire très diplomatique, MGM observe la “libanisation” du pays et semble désemparé :
“J'en viens parfois d'ailleurs à me demander si la République n'est pas dans une impasse en s'obstinant à prétendre à un modèle universaliste, indivisible et laïque envers des populations qui n'en veulent pas, parce qu'elles adhèrent à une autre vision de la place de l'homme dans la cité. Autrement dit, on peut se demander, et cela m'effraie car ce n'est pas notre projet national, si la France, une et indivisible, n'est pas parvenue à un point de son histoire où un communautarisme ne va pas finir par s'imposer sans être assumé, organisé et encadré, chez des populations qui sont vouées à partager le destin de notre pays.
Nous sommes dans la fiction d'une intégration républicaine dont les principaux moteurs, l'instruction publique, le service militaire, l'égalité des chances sont en panne ou portés disparus. Alors, ou bien nous sommes encore capables de les rétablir sous une forme ou une autre pour retrouver la fraternité nationale, ou alors nous risquons de glisser vers des dissensions sans fin qui nous entraîneront dans la violence: telle est l'alternative... Mais je dois avouer que sortir du projet universaliste impliquerait de créer des citoyens de catégories différentes, idée totalement contraire au génie de notre projet national quand on sait que notre laïcité, toujours méconnue et incomprise à l'extérieur de nos frontières, a été conquise de haute lutte pour protéger le libre exercice des cultes et nous a donné la paix sociale et religieuse depuis 1905. Et pourtant, il m'arrive de douter que ce cadre soit aujourd'hui suffisant pour préserver l'unité nationale. Il y a encore beaucoup de travail à mener sur ces questions”
Pour l’avenir :
La France a une démographie satisfaisante, des infrastructures de qualité, un haut niveau de formation. Un art de vivre utile à notre soft power
“Il y a la place pour une politique étrangère française qui sache agir conformément à la vocation universaliste de notre pays héritée des Lumières et de la Révolution.”
“Le combat pour la dignité de l’homme reste la matrice fondamentale du projet national et européen”
Sur l’Europe : l’heure n’est plus à de nouveaux transferts de souveraineté aux instances bruxelloises. “Utiliser l’Europe comme un démultiplicateur de puissance sans se soumettre au laminoir des règles juridiques qu’elle produit sur une large gamme de sujets : telle est la difficile ligne de crête sur laquelle nous allons devoir marcher”
Conclusion : “Il faut chercher à comprendre, encore et toujours, le monde qui nous entoure en étant convaincus, une fois pour toutes, que les autres ne pensent pas comme nous ! La devise de toute ma vie.”
Merci de cette recension. Sur la "libanisation" en cours, et ses conséquences sur l'influence extérieure de la France, il est frappant de voir l'aveu d'impuissance d'un homme qui a été au sommet de l'État, ou à proximité, pendant des décennies. N'a-t-il découvert ce naufrage que récemment ? N'a-t-il pu se faire entendre des politiques ?
Très intéressant merci