Méga-usines : 5 grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater en 2023
25 Md€ d’investissements et 12 000 emplois sont en jeu
🇫🇷 Courte annonce : je viens de lancer Why the West, une version en anglais de Chroniques occidentales. Vous y trouverez par exemple la traduction de cette étude. N’hésitez pas à partager avec vos amis anglophones !
🇺🇸 🇮🇳 🇬🇧 Short announcement: I've launched an English-language version of Chroniques occidentales called Why the West. You can find, for example, the translation of this study. Feel free to share it with your English-speaking friends!
Si les sommets Choose France ont permis de mettre en valeur l’attractivité de la France pour les investissements industriels étrangers, le pays a vu de nombreux projets de grande taille lui échapper tels Tesla, Intel ou TSMC. La France a aujourd’hui d’autant plus besoin d’accueillir les prochaines « méga-usines » prévues en Europe qu’elle s’est nettement plus désindustrialisée que ses voisins européens.
Accueillir les grands investissements industriels à venir en Europe permettrait à la France de :
conserver une taille critique industrielle pour réduire l’écart qui s’est creusé avec nos partenaires européens,
réduire notre déficit commercial massif,
gagner en souveraineté.
Cette étude vise à :
récapituler les succès et les échecs de la France concernant l’implantation de « méga-usines »,
détailler les 5 prochaines grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater,
exposer les mesures en place visant à attirer les grands sites industriels en France,
et à proposer des nouvelles mesures pour améliorer l’attractivité de la France pour les « méga-usines ».
Dans cette note, nous définissons « méga-usine », gigafactory ou investissement industriel étranger de grande taille de cette façon : un projet industriel supérieur à 500 M€ porté par des capitaux majoritairement étrangers faisant l’objet d’une compétition entre pays pour l’accueillir.
N.b. : cette étude est parue en février 2023. Je ferai une mise à jour début 2024.
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Plan de l’étude
I. La France peine à attirer les grands projets industriels
A. Accueillir de grands projets industriels est fondamental pour instaurer une dynamique pérenne de réindustrialisation du pays
B. Implantation de grands projets industriels : le bilan en demi-teinte de la France
1. La France a réussi à attirer des implantations importantes
2. La France a manqué les implantations industrielles majeures de ces dernières années en Europe
II. 5 implantations majeures a venir en Europe : la France ne doit pas rater la séance de rattrapage industrielle
A. Moderna
B. Prologium
C. Vinfast
D. BYD
E. Samsung
F. Récapitulatif : 25 Md€ d’investissements et 12 000 emplois en jeu
III. Se donner les moyens de remporter ces implantations
A. De premières mesures ont été prises
B. Mais la France a encore des efforts à fournir
1. Les délais d’implantation d’une usine en France restent un point noir
2. L’attractivité globale de la France doit continuer à s’améliorer
3. Mieux valoriser l’atout nucléaire
4. Faire face à la nouvelle concurrence américaine
Conclusion
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I. La France peine à attirer les grands projets industriels
A. Accueillir de grands projets industriels est fondamental pour instaurer une dynamique pérenne de réindustrialisation du pays
Le constat est connu de tous : la France est l’un des pays les plus désindustrialisés d’Europe. La part de l’industrie dans le PIB est de 16,8% contre 23% pour la moyenne de l’UE et 26,6% pour l’Allemagne. La part de l’industrie dans le PIB a également reculé plus vite en France : entre 1991 et 2016, la baisse relative du poids de l’industrie a été deux fois supérieure en France à celle observée en Allemagne d’après France Stratégie.
Nous ne reviendrons pas ici sur la nécessité de réindustrialiser la France : c’est un objectif aujourd’hui largement partagé par les forces politiques et économiques du pays. Pour l’atteindre, 3 solutions principales existent :
Soutenir le tissu industriel existant : c’est l’objectif des subventions à l’investissement de France Relance ;
Soutenir l’émergence de nouveaux acteurs industriels français : c’est l’objectif de France 2030 ;
Accueillir des investissements industriels étrangers : c’est l’objectif des politiques d’attractivité. Certains grands investissements industriels ont eu un très fort impact positif sur le tissu industriel français. Par exemple, l’usine Toyota de Valenciennes, inaugurée en 2001 et qui produit 300 000 voitures par an, représente aujourd’hui plus de 20% de la production automobile française (1,4 million de véhicules en 2021). Elle a attiré dans son sillage de nombreux fournisseurs du constructeur japonais.
Le bilan quantitatif de la France en terme d’accueil des investissement industriels étrangers est honorable, comme le montre le baromètre EY de l’attractivité 2022 « EY European investment monitor » (tableau ci-dessous) : la France est depuis plusieurs années le pays qui reçoit le plus d’investissements industriels étrangers en Europe. Les mesures d’attractivité prises ces dernières années (baisse de l’IS, CICE, réforme du marché du travail) ont favorisé cette performance.
Le problème se situe à un autre niveau : les projets en France sont moins créateurs d’emplois et sont plus souvent des extensions de site que chez nos voisins (cf les 2 graphiques ci-dessous). Alors que les projets greenfields (c’est-à-dire les implantations qui ne sont pas des extensions de sites existants) représentent plus des 3/4 des projets en Allemagne ou au Royaume-Uni, leur part est de moins d’1/3 en France.
La France a donc une difficulté particulière à accueillir de nouvelles implantations industrielles de grande taille.
B. Implantation de grands projets industriels : le bilan en demi-teinte de la France
1. La France a réussi à attirer des implantations importantes
Ces dernières années, la France a réussi à attirer des investissements industriels étrangers majeurs malgré la concurrence d’autres pays :
STMicroelectronics / GlobalFoundries : le leader franco-italien et l’entreprise américaine à fonds émiratis ont annoncé en juillet 2022 qu’ils allaient investir 5,7 milliards d’euros et créer 1000 emplois à Crolles en Isère afin d’augmenter leur production de semi-conducteurs. Le projet recevra 2,5 Md€ de subventions. Le site français était en compétition avec un site aux États-Unis et un site à Singapour.
La France a obtenu ce projet de haute lutte, avec une forte implication personnelle d’Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire pour convaincre l’industriel américain. Ils souhaitaient effacer l’échec Intel qui avait annoncé 4 mois auparavant implanter sa future usine européenne en Allemagne. Cependant, ce projet n’est pas une implantation nouvelle mais une extension du site existant de STMicroelectronics. D’après N. Dufourcq, président de la BPI, ce site devrait générer 4 Md€ d’exportations par an.
Envision / AESC : le fabriquant sino-japonais va construire une usine de batteries à Douai pour alimenter les usines Renault de la région. Cet investissement de 800 M€ devrait créer 1500 emplois d’ici 2024, avec potentiellement une phase supplémentaire jusqu’à 2 Md€ et 3 000 emplois en 2029. La France était en concurrence avec un site tchèque et un site finlandais.
Si ce sont des investissements majeurs par leur taille, je n’ai pas ajouté les 2 autres projets de gigafactory de batteries électriques ACC et Verkor à cette liste :
Verkor a des actionnaire principalement français (Renault, Schneider Electric, Capgemini et Arkema) et si l’Italie et l’Espagne ont été mentionnées pour accueillir la gigafactory Verkor, les 3 sites de la short-list finale étaient tous en France (dans les départements de l’Indre, du Nord et de la Seine-Maritime).
ACC a des actionnaires principalement français (Stellantis + TotalEnergies = 66%, Mercedes-Benz = 33%) et la gigafactory française vient partiellement remplacer une usine Stellantis de fabrication de moteurs thermiques. Ce n’est donc pas un projet greenfield. De plus, une gigafactory de même taille sera construite en Allemagne et en Italie par ACC.
De même, concernant le projet GravitHy prévoyant l’investissement de 2,2 Md€ à Fos-sur-mer pour produire de l’acier vert, le consortium qui porte le projet est très majoritairement français (Engie, Forvia ou IDEC).
Si ces 3 futures usines sont des projets majeurs, il n’aurait donc pas été correct de les considérer comme des investissements industriels étrangers ayant fait l’objet d’une compétition internationale pour leur implantation.
Eastman : le chimiste américain va implanter une usine de recyclage moléculaire du plastique en Normandie. Cet investissement de 850 millions d’euros devrait créer 350 emplois. La Normandie était en concurrence avec 2 autres sites situés en France mais Eastman n’a pas communiqué sur des sites concurrents en Europe.
L’investissement a bénéficié d'une subvention nationale de 62 M€ (via l'appel à projets national sur le recyclage des plastiques), d'une aide européenne de 31 M€ (fonds transition juste) et de 4 M€ versés par la Région Normandie.
Alteo/Wscope : Le fournisseur français d’alumine Alteo et le sud-coréen Wscope vont investir 600 M€ dans les Hauts-de-France pour construire une usine de production de films de séparateurs (éléments clés de la batterie, situés entre la cathode et l’anode) de batteries électriques. Ce site vise à alimenter les 3 futures gigafactories de batteries des Hauts-de-France (ACC, Envision/AESC et Verkor). La commune d’implantation doit être précisée d’ici quelques mois. Les entreprises n’ont pas précisé si le site français avait été mis en concurrence avec des sites étrangers.
Après avoir listé ces principaux ces succès français, nous allons malheureusement voir que les sites manqués par notre pays sont de taille bien supérieure, tant en terme d’investissements que de créations d’emplois. Si la France a attiré quelques « beaux projets », les « très gros projets » ont tous atterri en Allemagne.
2. La France a manqué les implantations industrielles majeures de ces dernières années en Europe
1) Tesla
Le constructeur américain a choisi de s’implanter près de Berlin (5 Md€ d’investissement) en 2019. La capacité de production de la gigafactory de 300 hectares est de 500 000 voitures par an, l’équivalent de 35% de la production automobile française ! Le site de Berlin a gagné contre plusieurs sites français, dont un à Melun. Cet échec est d’autant plus lourd que Tesla envisage de construire à proximité la plus grande usine de batterie du monde pour alimenter son site (250 GWh de capacité de production annuelle).
Les raisons de l’échec français sont diverses : délais d’implantation plus courts en Allemagne, excellente réputation de l’ingénierie allemande et manque de sites de taille suffisante en France.
La production de voitures électriques a commencé et le site est déjà devenu le plus grand employeur du land de Brandebourg avec 7 000 emplois actuellement et 12 000 à terme.
2) Intel
L’industriel américain a également fait le choix de l’Allemagne pour implanter sa prochaine usine européenne de puce. La décision fut annoncée en mars 2022. La France a raté un des plus grands investissements industriels de l’histoire sur le sol européen : 17 Md€ d’investissements et 3 000 emplois directs. Le site de 400 hectares sera situé à Magdebourg, capitale du Land de Saxe-Anhalt.
Trois raisons principales expliquent l’échec français :
la très forte réactivité de l’administration allemande ;
la promesse d’une subvention fédérale de 2,7 Md€ (à laquelle s’ajoute une subvention européenne de 4 Md€) ;
les futurs clients de l’usine seront en grande partie allemands (des constructeurs automobiles et des spécialistes de l’électronique), ce qui illustre le cercle vertueux d’un pays qui n’a pas fait le choix de la désindustrialisation.
Il semble également que la France, qui avait proposé Châteauroux, n’a pas su fournir le meilleur site comme l’explique le site 01.net : « Lors de la conférence dédiée à la presse française, la première question qui a été posée a évidemment été « pourquoi l’Allemagne et pas la France ? », avec admettons-le un fond d’amertume de la part des Français. Loin d’être évasive, la réponse a été claire. « Ce n’est pas l’Allemagne qui a été choisie, mais le site de Magdeburg. Nous avons évalué de nombreuses candidatures de qualité, notamment françaises, avec de très nombreux critères comme les talents sur place, les infrastructures, la qualité de l’eau, l’accès à l’énergie, etc. », a expliqué Pat Gelsinger, le PDG d’Intel ».
La France a également raté le second investissement européen d’Intel : une usine d’encapsulation de puces électroniques représentant un investissement de 4,9 Md€. Elle sera située en Pologne.
La France bénéficie d’un (petit) lot de consolation : Intel implantera un centre de recherche à Paris-Saclay.
3) TSMC
Après l’échec Intel, c’est une autre mauvaise nouvelle pour la France. Selon le Financial Times du 23 décembre 2022, TSMC, le producteur taïwanais de puces (premier fabricant mondial), serait entrer en pourparlers avec les autorités allemandes pour installer sa première usine européenne à Dresde. Un des points en discussion est le montant de subvention que TSMC recevra pour ce projet. Rien d’officiel jusqu’à présent, la décision finale d’investissement devrait être annoncée début 2023. Peut-être reste-t-il une chance d’attirer l’usine en France ?
Ce projet, qui aurait permis à la France de réduire l’écart après l’échec Intel, va accentuer l’écrasante domination allemande dans les puces en Europe. C.C Wei, le PDG de TSMC, a déclaré le 12 janvier 2023 que « nous sommes en train d’évaluer la possibilité d’ouvrir une usine en Europe dans les technologies matures pour mieux servir nos clients européens dans l’automobile », ce qui crédibilise une implantation allemande tant elle domine la production automobile européenne (3,1 millions de véhicules produits en 2021, contre 1,4 million pour la France). Malheureusement pour la France, le cercle vicieux de la désindustrialisation s’auto-entretient.
Pour donner un ordre de grandeur de l’investissement que pourrait annoncer TSMC, rappelons que l’entreprise est en train de construire une usine à 12 Md$ à Phoenix en Arizona. Les États-Unis se sont battus avec vigueur pour voir cette usine s’implanter sur leur sol comme l’explique Le Monde du 7 janvier 2023 : « Morris Chang, le fondateur de TSMC (…) et père de l’industrie des puces taïwanaise n’a eu de cesse de pester contre ce projet, dénonçant les coûts exorbitants et les difficultés de la production aux États-Unis par rapport à Taïwan. Son groupe a fini par céder à la pression conjointe des politiciens et de ses clients américains. »
4) REC Solar
L’entreprise indo-norvégienne a annoncé en décembre 2022 qu’elle suspendait son projet d’usine de panneaux solaire à 700 millions d’€ en Lorraine. La prochaine usine du groupe sera aux États-Unis. La décision s’expliquerait par la crise énergétique en Europe et le niveau supérieur des subventions étrangères : l’entreprise a indiqué à L’Usine Nouvelle que « ces décisions stratégiques seraient arbitrées en fonction des opportunités de marchés et de financement, alors qu’il y a énormément de support à la fabrication de produits photovoltaïques dans le monde et que l’Europe, à ce niveau-là, n’est pas encore au point ».
Alors que la France s’apprête à développer massivement l’énergie solaire suite à la « loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables », cet échec est un vrai coup dur car la France importe la quasi-totalité de ses panneaux solaires, majoritairement depuis la Chine.
Carbon, start-up industrielle française du panneau photovoltaïque, serait sur les rangs pour remplacer REC Solar et y implanter sa première gigafactory.
A travers ces 4 exemples, on repère les raisons principales pour lesquelles la France n’a pas réussi à attirer ces grands projets industriels :
un déficit de terrains de grande taille disponibles ;
des délais administratifs plus longs ;
un tissu industriel plus faible (moins de débouchés pour les futures implantations) : c’est le cercle vicieux de la désindustrialisation ;
des subventions moins élevées.
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II. 5 implantations majeures à venir en Europe : la France ne doit pas rater la séance de rattrapage industrielle
Plusieurs entreprises étrangères ont annoncé vouloir implanter en Europe une usine nécessitant un investissement supérieur à 500 millions d’€ dans les années à venir, certaines dès 2023. C’est l’opportunité d’une « séance de rattrapage » pour la France. Parmi les projets les plus importants, voici les 5 prochaines implantations à ne pas rater pour la France.
A. Moderna
L’entreprise américaine est en discussion avec plusieurs gouvernements européens pour l’implantation d’une usine à technologie ANRm sur le continent. Espérons que la nationalité française du PDG Stéphane Bancel joue un rôle dans le choix du pays : « Il y a des discussions régulières au plus haut niveau de l’État, y compris il y a quelques jours. Je sais qu'il y a un désir fort du président de la République » déclarait-il en novembre 2022 à l’AFP. L’investissement serait de 1 milliard d’euros et le projet est « en discussion avancée avec le gouvernement français » avait confié Sandra Fournier, directrice de Moderna France, à L’Usine Nouvelle en septembre 2022. Cette usine est cruciale à la souveraineté française et européenne dans les vaccins.
C’est l’opportunité d’une séance de rattrapage pour la France : Moderna a annoncé en juin 2022 que sa première usine européenne sera au Royaume-Uni et pourra produire 250 millions de doses de vaccin par an. 150 emplois hautement qualifiés seront créés. Le laboratoire va investir 1,1 milliards de livres car le gouvernement britannique a su se montrer convaincant : il s’engage à acheter des vaccins à Moderna pendant 10 ans. D’après Le Figaro du 13/11/2022, c’est ce même type d’argument qui pourrait convaincre Moderna de faire son usine en France : « Selon un proche du dossier, Moderna réclame au gouvernement français un « engagement d'achat dans la durée » de ses vaccins respiratoires. ». Le gouvernement aurait donc les cartes en mains pour forcer le destin…
Moderna a par ailleurs lancé la construction de nouvelles usines en Australie et au Canada. L’entreprise a les moyens de ses ambitions : le chiffre d’affaire est passé de 60 M$ en 2019 à 19 Md$ en 2021.
B. Prologium
Le fabricant taïwanais de batteries de nouvelle génération au lithium solide, qui a noué des partenariats avec Mercedes et Vinfast, souhaite construire en Europe une usine de 48 GWh représentant un investissement de 4,5 Md€.
Après élimination de la Pologne et du Royaume-Uni, les 3 derniers pays en lice pour accueillir son usine européenne sont l’Allemagne, les Pays-Bas et la France. Vincent Yang, le PDG de Prologium, a rencontré Emmanuel Macron au sommet Choose France de juillet 2022 pour discuter du projet. Gilles Normand, le vice-président français de Prologium et ancien de Renault, a déclaré en octobre 2022 sur BFMTV que si le site se fait en France, ce sera à Dunkerque. La décision sera prise mi-2023. Cette implantation consoliderait la vallée de la batterie en formation dans les Hauts-de-France.
Prologium veut également construire une usine aux États-Unis et il est possible que l’entreprise priorise le projet américain dans un premier temps. Prologium pourrait être l’entreprise étrangère mystère mentionnée par Bruno le Maire le 7 novembre 2022 sur BFM TV. Le ministre de l’économie parle « d’un projet pour le moment confidentiel dans le véhicule électrique » qui créerait 5 000 emplois pour un investissement de 4 milliards d’€ mais qui pourrait malheureusement finalement se faire aux États-Unis après avoir envisagé de s’implanter en France. Le ministre appelle à une réponse face à l’Inflation Reduction Act américain : « là où je peux proposer une subvention d’1 milliard d’€ à cette entreprise, les États-Unis mettent 4 milliards sur la table ».
Gagner la « bataille Prologium » est crucial : si la France devrait compter 120 GWh de capacité de production de batteries en 2030 (sans prendre en compte Prologium), ce chiffre atteint 545 GWh en Allemagne, 220 GWh en Hongrie, 145 GWh en Grande-Bretagne ou 125 GWh en Norvège (cf la carte de BatteryNews.de ci-dessous).
C. Vinfast
Le constructeur vietnamien de voiture électriques premium, qui vient d’ouvrir un show-room dans le centre de Paris, souhaite construire une usine en Europe. L’investissement serait de 2 Md$ pour construire une usine avec une capacité de 250 000 véhicules annuels.
L’Allemagne serait en pole position mais la France ou l’Italie pourraient aussi accueillir l’usine. L’ancien PDG de Vinfast est allemand et, d’après certains médias spécialisés, les sites présélectionnés seraient majoritairement situés outre-Rhin. S’implanter en Allemagne permettrait également à Vinfast de venir concurrencer Tesla qui a sa gigafactory à Berlin.
Vinfast a par ailleurs annoncé en mars 2022 qu’il allait investir 2 Md$ en Caroline du Nord pour construire sa première usine américaine, convaincu par une aide publique totale de 1,2 Md$ (principalement des subventions). La production devrait commencer en 2024 avec une capacité de 150 000 SUV par an dans un premier temps. L’investissement total pourrait atteindre 6,5 Md$ car l’entreprise envisage de construire également une usine à batteries. La superficie totale du site atteint 800 hectares et pourrait compter 7 500 emplois à terme.
D. BYD
Le constructeur chinois, qui devrait ravir à Tesla la place de premier constructeur mondial de voitures électriques dans les prochains mois, pourrait construire 2 usines en Europe. L’évaluation des sites potentiels est en cours mais l’entreprise n’a pas encore communiqué sur la date du choix du lieu d’implantation. La concurrence des pays de l’Est de l’Europe pour l’implantation des usines va être féroce car BYD souhaite proposer des véhicules électriques bon marché. Mais il semblerait que l’Allemagne parte avec une longueur d’avance pour la première usine : le Wall Street Journal a révélé le 24/01/23 que BYD serait entré en négociation avec Ford pour lui racheter l’usine de Sarrelouis, à quelques kilomètres de la frontière française.
Le constructeur chinois vient de lancer ses premiers véhicules en Europe, pour l’instant tous importés de Chine. Les futures usines seraient destinées à alimenter le marché européen, ce qui serait bénéfique pour la balance commerciale française en cas de succès. Notons que le constructeur chinois avait implanté une usine d’assemblage de bus électriques à Beauvais en 2017 mais a fermé ce site en 2022 face à l’absence de commandes. Il faut espérer que cette première aventure française ne porte pas préjudice aux prochaines implantations.
E. Samsung
Samsung Electronics, filiale du groupe coréen Samsung et géant des puces, envisagerait de construire une fonderie en Europe : c’est ce que révèle The Korea Economic daily, quotidien économique coréen, le 19 octobre 2022. Déjà en février 2021, Bloomberg annonçait que Samsung (et TSMC) avait commencé à étudier la possibilité de construire un site en Europe. Samsung souhaiterait se rapprocher de ses clients de l’industrie automobile pour réduire les risques de rupture d’approvisionnement. Cette fonderie permettrait également de venir concurrencer son principal compétiteur TSMC, qui s’apprête à construire une usine en Allemagne.
Pour la France, accueillir l’usine Samsung serait l’occasion idéale de faire oublier les échecs Intel et TSMC. Notre carte à jouer : Samsung collabore de longue date avec le CEA Grenoble et STMicroelectronics.
Par ailleurs, Samsung a annoncé en novembre 2021 un investissement de 17 milliards de dollars pour établir une nouvelle fonderie au Texas sur 475 hectares. L’usine, qui créera 2 000 emplois, est en cours de construction et la production devrait démarrer en 2024.
F. Récapitulatif : 25 Md€ d’investissements et 12 000 emplois en jeu
Tableau récapitulatif des 5 projets que la France ne doit pas rater :
Ces 5 grands projets industriels représentent 25 Md€ d’investissements et 12 000 emplois. Dans la dernière colonne du tableau, les plus facteurs clés pour attirer ces « méga-usines » sont indiqués. Si certains ne sont pas entre les mains du gouvernement et des collectivités, par exemple la présence d’un écosystème industriel préexistant, l’action publique peut être décisive à de nombreux niveaux :
disponibilité de grands terrains,
terrains rapidement constructibles,
montant des subventions,
contrats long terme avec l’industriel,
compétitivité et stabilité de l’approvisionnement énergétique.
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Les autres projets à surveiller :
Batteries : le groupe indien Tata a indiqué en janvier 2023 vouloir construire une usine de batterie en Europe. Cependant, cet investissement semble fléché vers le Royaume-Uni car destiné à alimenter les usines anglaises du groupe (Land Rover).
Photovoltaïque : le 15 janviers 2023, Alain Rousset, Président de Nouvelle-Aquitaine, a révélé que sa région était en lice pour accueillir une usine de cellules photovoltaïques : « L’investissement serait de 1,4 Md€ et permettrait la création de 3 000 emplois. » Deux autres territoires seraient également en lice pour accueillir l’usine.
Il s’agit probablement du projet de la start-up Carbon, qui a déjà annoncé que sa gigafactory serait située en France et qui étudierait également une implantation en Lorraine à la place du projet REC Solar. Les chiffres correspondent avec ceux annoncés par la startup : en septembre 2022, elle disait vouloir investir 1,5 Md€ dans une gigafactory dont la première phase créerait 3 000 emplois.
Si le projet mentionné par le Président de Nouvelle-Aquitaine est bien l’usine de Carbon, nous ne pouvons pas prendre en compte ce site dans notre étude car il était fléché à l’origine pour la France. En effet, l’entreprise a annoncé dès sa création vouloir construire une gigafactory en France : il n’y a pas eu de compétition internationale pour accueillir l’usine.
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III. Se donner les moyens de remporter ces implantations
A. De premières mesures ont été prises
Le choix d’un site pour un projet industriel repose sur des critères qualitatifs (disponibilité du terrain, infrastructures, qualité de la main d’œuvre, écosystème local…) et quantitatif (niveau de subvention, prix de l’énergie, prix de la main d’œuvre, niveau d’imposition). Au sein des différents benchmarks utilisés par les industriels, la situation de la France s’est globalement améliorée ces dernières années notamment grâce aux récentes réformes :
taux d’impôt sur les sociétés ramené à de 33% à 25% ;
CICE pour réduire le coût du travail ;
baisse de 18 Md€ des impôts de production (10 Md€ en 2022 et 4+4 Md€ en 2023 et 2024) ;
et réforme du marché du travail.
De plus, 127 sites industriels « clés en main » (c’est-à-dire des sites dont les procédures environnementales ont été anticipées) ont été labellisés depuis 2020 et, en mars 2022, le gouvernement a lancé un appel à projet auprès des collectivités pour identifier des terrains de 300 hectares minimum, permettant d’accueillir une implantation de très grande taille. D’après L’Usine Nouvelle, l’échec Intel « a réveillé les pouvoirs publics. Business France a recruté une personne pour identifier les réserves foncières afin d’attirer les industriels étrangers. Un appel à projet a été lancé pour faire émerger ces sites de plus de 300 hectares. Moins d’une demi-douzaine ont été identifiés ».
Enfin, lors du bilan d'étape France 2030 en novembre 2022, Elisabeth Borne a annoncé que 5 Md€ seront réservés pour subventionner des grands projets « hors normes », comme celui de ST Microelectronics / GlobalFoundries. Ce dispositif vise à partiellement faire face aux subventions américaines.
Ainsi, des premières réponses ont été apportées pour permettre à la France d’accueillir de grands investissements industriels. Cependant, beaucoup reste à faire pour mettre toutes les chances de notre côté.
B. Mais la France a encore des efforts à fournir
1. Les délais d’implantation d’une usine en France restent un point noir
Nous avons vu que parmi les grandes implantations que la France a ratées, des délais de construction trop lents sont un des facteurs explicatifs. Si la loi ASAP de 2020 a contribué à les réduire, Bruno Le Maire reconnaissait début septembre 2022 qu’il restait des efforts à faire : « Je ferai dans les prochaines semaines des propositions au président de la République et à la première ministre pour réduire les délais d'implantation des usines en France. Ils sont de dix-sept mois chez nous contre huit mois en Allemagne. Nous devons nous attaquer à tous les freins qui ralentissent inutilement les procédures ».
Le rapport « Simplifier et accélérer les implantations d’activités économiques en France » remis par Laurent Guillot au gouvernement en mars 2022 propose de nouvelles pistes pour le gouvernement pour réduire des délais qui sont encore supérieurs aux autres pays européens (schéma ci-dessous) comme par exemple :
Nommer un sous-préfet à l’investissement dans chaque région
Clarifier la doctrine relative aux différentes procédures administratives pour améliorer la visibilité des entreprises sur les délais de procédures et sécuriser les porteurs de projet, par exemple la doctrine relative à la
réalisation des inventaires faune/flore.
Les propositions du rapport seront certainement reprises dans la future loi « industrie verte », mentionnée pour la première fois par Bruno le Maire le 5 janvier 2023 et qui devrait être présentée en avril et déposée au Parlement en juin 2023. D’après les premières indications du ministre, cette loi aura vocation à accélérer les processus d'autorisation des nouveaux sites industriels : « il n’y a aucune raison qu’en France, nous mettions deux ans à développer un site industriel, parfois trois, là où d’autres grandes nations arrivent à le faire en quelques mois » a-t-il déclaré lors de ses vœux aux acteurs économiques.
Concernant le foncier industriel, la règlementation Zéro artificialisation nette pose des problèmes aux collectivités et il est également nécessaire « d’améliorer la connaissance de l’offre et de la demande. On ne sait pas précisément où sont les réserves disponibles de l’État, des collectivités locales, des foncières, mais aussi des grandes entreprises », plaide Vincent Moulin Wright, délégué général de France Industrie interviewé par L’Usine Nouvelle.
La France ne peut plus se permettre de rater des grands projets industriels par manque de terrains ou à cause de longueurs administratives. Ces enjeux ne dépendent que de nous.
2. L’attractivité globale de la France doit continuer à s’améliorer
La France doit continuer à améliorer son attractivité globale. Cela passe par des mesures qui ne sont pas spécifiquement destinés aux grands projets industriels mais qui jouent fortement dans leurs décisions d’investissement. Les grands groupes disposent d’équipes dédiées aux nouveaux projets industriels : elles analysent et comparent chaque composante de l’attractivité d’un pays. La France doit prioriser 3 enjeux :
i) Les impôts de production demeurent à un niveau très élevé : après prise en compte des nouvelles baisses de 2023 et 2024, l’écart restera de l’ordre de 30 Md€ par rapport à la moyenne de l’UE 27 et de 60 Md€ par rapport à l’Allemagne. La France reste un pays qui surtaxe son appareil productif. La suppression de la Contribution de solidarité des sociétés C3S (4 Md €) devrait être une priorité : elle est qualifiée par le Conseil d’analyse économique (CAE) comme étant « l’impôt le plus nocif à supprimer en priorité ». Cette taxe sur le chiffre d’affaire « réduit la compétitivité des entreprises jouant comme une taxe sur les exportations et une subvention aux importations ». Sa suppression pourrait améliorer la balance commerciale manufacturière de 5 Md€ d’après le CAE.
ii) La France forme 40 000 ingénieurs par an mais les besoins sont de 60 000 ingénieurs : « il manque donc 20 000 ingénieurs par an » d’après Pierre Verzat, président de Syntec-Ingénierie, un syndicat qui réunit près de 400 entreprises de prestations de service dans les domaines scientifiques et techniques. La disponibilité et la qualité de la main d’œuvre est devenue clé dans la décision d’implantations de sites industriels nécessitant des profils très qualifiés. Les pouvoirs publics doivent favoriser l’orientation des jeunes vers les cursus scientifiques et technologiques.
iii) La création d’un fonds souverain des français permettrait également de mieux valoriser les atouts français en appuyant financièrement ces grands projets industriels. Ce « fonds des Français », fonds souverain citoyen de tous les Français, adossé sur l’épargne colossale des ménages français (plus de 500 milliards d’euros d’encours en prenant en compte les livrets a et LDD), permettrait ainsi de privilégier une politique économique de long terme autour des trois priorités : souveraineté, croissance et innovation. Ce fonds ferait renouer les Français avec les effets positifs de l’État stratège gaulliste sans pour autant subir les effets néfastes de l’intervention tout azimut de l’État providence.
3. Mieux valoriser l’atout nucléaire
Alors que l’intensité carbone devient un critère d’achat pour le consommateur et que le prix de l’énergie est fondamental dans les décisions d’investissements, la France bénéficie d’une électricité parmi la plus dé-carbonée d’Europe (53 gCO2eq/kWh vs 414 gCO2eq/kWh pour l’Allemagne) et parmi la plus compétitive d’Europe en terme de coût de production grâce à la production nucléaire (environ 60 €/MWh). Mais l’industrie française ne bénéficie que partiellement des faibles coûts de production de l’électricité d’origine nucléaire : si certains industriels bénéficient d’un tarif compétitif sur une partie de leur consommation via l’Arenh (dont l’extinction est prévue en 2025), le prix de l’électricité est couplé au prix du gaz. Le gouvernement a donc engagé « la bataille du découplage » à Bruxelles : il demande à la Commission une réponse concrète d’ici le milieu de l’année.
Mais si la France n’arrive pas à gagner cette bataille, Olivier Lluansi, ancien conseiller industrie de François Hollande, soumet l’idée qu’un EDF nationalisé « propose des contrats de gré à gré aux entreprises, puisque son obligation ne serait plus le profit à tout prix. EDF pourrait proposer des contrats de long terme, compétitifs » (Atlantico, 27/12/22). D’après Les Echos (12/10/22), ce type de contrat est envisagé par le gouvernement : « En attendant d'y voir plus clair sur ces négociations, le gouvernement étudie d'autres leviers pour calmer les alarmes des industriels. « Nous souhaitons reproduire des contrats de fourniture d'électricité entre les industriels et EDF sur le modèle de ceux qui avaient été conclus par le consortium Exeltium dans les années 2010 », indique le ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure. Mis en place par vingt-six industriels il y a plus de dix ans, l'accord du consortium Exeltium avec EDF avait permis de sécuriser une fourniture d'électricité nucléaire à prix et volume prévisibles pendant vingt-quatre ans ».
Ces contrats de gré à gré de plus de 10 ans à prix compétitifs (sur un modèle cost+ : prix de production + marge, soit environ 70 € /MWh) pourraient également être proposés à des industriels qui hésitent encore à implanter une « méga-usine » en France. En leur offrant stabilité et visibilité sur leurs futurs coûts électriques grâce à son parc nucléaire, la France détiendrait un argument très convaincant.
4. Faire face à la nouvelle concurrence américaine
Au-delà de la compétition intra-européenne, les États-Unis représentent une nouvelle concurrence redoutable pour l’implantation de grands sites industriels. La mise en place par les États-Unis de l’Inflation Reduction Act (IRA) avec ses subventions massives aux investissements industriels (369 Md$ dédiés à la transition énergétique et aux filières industrielles vertes) détourne certains projets de l’Europe, sans compter l’impact d’un coût de l’énergie 4 à 5 fois inférieur à l’Europe.
Nous avons vu précédemment que les subventions massives permises par l’IRA pourraient pousser Prologium à prioriser les États-Unis comme site d’implantation de sa future usine. Attiré par les subventions, le fabricant suédois de batteries Northvolt a annoncé en octobre 2022 qu’il pourrait repousser son projet d’usine en Allemagne pour prioriser la construction d’un site aux États-Unis. Comme le montre le Financial Times du 25/01/23, les agences de développement économiques des États américains (Ohio, Michigan, Géorgie…) organisent actuellement des tournées en Europe pour convaincre les industriels et startups européens d’implanter leurs usines chez eux, l’IRA pouvant prendre en charge plus de la moitié de leurs investissements.
Sous l’impulsion française, l’Europe s’apprête à réagir. Le sujet est à l’agenda du Conseil européen des 9 et 10 février et la Commission a présenté le 1er février 2023 son Green Deal Industrial Plan. A court terme, le plan prévoit d’assouplir le contrôle des aides d’État (en donnant par exemple la possibilité d'égaler une subvention proposée à une entreprise par un autre pays) et de recycler des fonds du plan de relance européen vers les industries à zéro émission. A moyen terme, un fonds européen souverain pour l’industrie serait créé.
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Conclusion
L’année 2023 sera celle des premiers verdicts concernant les 5 méga-projets industriels analysés dans cette note : 25 Md€ d’investissements et 12 000 emplois sont en jeu.
Ces 5 projets d’implantation sont représentatifs des industries clés des décennies à venir : vaccins ARN, véhicules électriques ou semi-conducteurs. Les attirer permettrait à la France et à l’Europe de se positionner sur les industries qui feront la souveraineté et la prospérité des années 2030 et 2040.
Attirer au moins 2 de ces 5 projets serait un résultat honorable pour la France :
même si la concurrence est forte, on peut se permettre d’être raisonnablement optimiste concernant l’usine Moderna ;
la gigafactory Prologium permettrait de conforter l’écosystème de la batterie en gestation dans les Hauts-de-France, mais les subventions américaines vont inévitablement peser sur le choix de l’entreprise taïwanaise ;
réitérer le succès « Toyota Valenciennes » en gagnant l’usine Vinfast ou la seconde usine BYD serait un superbe résultat, permettant de consolider la production automobile française et de réduire un déficit commercial automobile qui a atteint 18 Md€ en 2021 ;
enfin, attirer la « mega fab » de Samsung serait une immense victoire : cela représenterait tout simplement le plus grand investissement industriel étranger de l’histoire en France.
Espérons que le sommet Choose France, qui devrait se tenir en mai 2023, apporte son lot de bonnes nouvelles.
Guillaume Gau
Étude publiée en février 2023 pour le think tank Le Millénaire.