Milan Kundera - Un Occident kidnappé, ou la tragédie de l'Europe centrale
Le texte qui a refaçonné la carte mentale de l'Europe
Milan Kundera (1929 - 2023) était un romancier franco-tchèque. Il s'est exilé en France en 1975 et a obtenu la nationalité française en 1981. Son œuvre la plus connue est L'Insoutenable légèreté de l'être. Il écrit Un Occident kidnappé en 1983, alors que la Tchécoslovaquie était sous le joug de la dictature soviétique.
4ème de couverture :
Aussitôt paru dans Le Débat, en novembre 1983, cet article, traduit dans toutes les langues européennes, a sonné comme un plaidoyer et une accusation. Plaidoyer pour la défense de l'Europe centrale (Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie), qui par sa tradition culturelle appartient tout entière et depuis toujours à l'Occident, mais que celui-ci ne voit plus qu'à travers son régime politique, ce qui n'en fait qu'une partie du bloc de l'Est. Une culture qui n'est pas l'apanage d'une élite, mais la valeur vivante autour de laquelle se regroupe le peuple. Une accusation, car la tragédie de ce foyer des "petites nations", qui se savent périssables, est en fait celle de l'Europe elle-même qui ne veut pas le voir et ne s'est même pas aperçue de leur disparition. N'est-ce pas là un des signes de sa propre disparition ?
La valeur du texte ne vient pas seulement de son habileté démonstrative, mais de la voix si personnelle, véhémente, angoissée de l'auteur, Milan Kundera, qui apparaît alors comme un des plus grands écrivains européens.
Fiche de lecture
A retenir : l’Europe centrale est culturellement occidentale.
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Introduction
Un Occident kidnappé est un article de Milan Kundera paru dans Le Débat en 1983. Marée de réactions dans toute l’Europe centrale suite à sa publication. Il a "refaçonné la carte mentale de l’Europe”
A l’époque où l’Occident voyait l’Europe centrale comme une partie du bloc de l’Est, Kundera rappelle que la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie appartiennent à l’Occident et que la culture est le sanctuaire de l’identité de ces pays.
Les chars russes entrent dans Budapest en 1956. La dernière dépêche du responsable de l’agence de presse hongroise : “Nous mourrons pour la Hongrie et l'Europe". Son immeuble est bombardé juste après par les Russes.
L’Europe centrale, victime de l’histoire
L’Europe géographique (de l’Atlantique à l’Oural) a toujours été divisée en deux :
l’une liée à l’ancienne Rome et à l’Église catholique
l’autre ancrée dans Byzance et à l’Église orthodoxe
En 1945, la frontière entre ces deux Europe s’est déplacée de quelques centaines de km vers l’Ouest. Des nations qui s’étaient toujours considérées occidentales se réveillaient à l’Est. Puis on arrive à 3 situations fondamentales : Europe Occidentale, Europe Centrale, Europe orientale.
Révoltes polonaises de 1956, 1968, 1970. Révolte de Prague 1968. Révolte hongroise 1956. La Bulgarie ne s’est pas révoltée car elle fait partie de l’Europe orthodoxe dès l’origine.
Paradoxe : la période après 1945 est à la fois la plus tragique et une des plus grandes de son histoire culturelle. Sous la menace, la vie culturelle s’est intensifiée. Kundera écrit : “le sens profond de leur résistance, c’est la défense de leur identité; ou autrement dit : c’est la défense de leur occidentalité”. Face à la volonté d'acculturation soviétique.
Le plus beau et lucide texte sur la Russie est Russie et le virus de la liberté d’Emil Cioran dans Histoire et Utopie : « Tout en elle est vertigineux, affreux, insaisissable ». Pendant leur histoire millénaire, les tchèque n’ont eu aucun contact avec la Russie malgré la parenté linguistique. Les rapports entre la Russie et la Pologne sont une lutte à mort.
« Je veux souligner encore une fois ceci : c’est à la frontière orientale de l’Occident que, mieux qu’ailleurs, on perçoit la Russie comme un Anti-Occident ; elle apparaît non seulement comme une des puissances européennes parmi d’autres mais comme une civilisation particulière, comme une autre civilisation. »
Peuples de l’Europe centrale : des victimes de l’histoire. Dans cette expérience historique désenchantée se trouve la source de leur originalité culturelle, de leur esprit non-sérieux, qui se moque de la grandeur et de la gloire. La disparition du foyer culturel centre-européen est le plus grand événement du siècle pour la civilisation occidentale. L’Europe n’a pas remarqué la disparition car elle ne ressent pas son unité culturelle. Au Moyen Âge, l’unité de l’Europe reposait sur la religion.
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Annexe - La littérature et les petites nations
Années 60 : âge d’or de la culture tchèque
“toute répression d’une opinion, y compris la répression brutale d’opinions fausses, va au fond contre la vérité, cette vérité qu’on trouve ne trouve qu’en confrontant les opinions libres et égales”