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Chers lecteurs,
aujourd’hui je souhaitais vous parler d’un dossier du Figaro Histoire dédié aux sources gréco-romaines de la civilisation occidentale. Plusieurs spécialistes de cette période y analysent l’importance du leg gréco-romain dans l’identité occidentale et la manière dont l’Occident se réapproprie continuellement cet héritage.
Je retiens 2 points principaux :
l’héritage gréco-romain et la chrétienté constituent les deux piliers majeurs sur lesquels la civilisation occidentale s’est construite. C’est au cours de deux millénaires de dialogue entre ces deux traditions que s'est forgé le cadre mental et la vision du monde propre aux Occidentaux.
cet héritage gréco-romain est toujours très tangible mais nous est devenu tellement naturel que nous ne le percevons plus. Prenons deux exemples :
la langue : si nous parlons français, c’est parce que les Romains ont conquis la Gaule. Le français n’est pas autre chose que du latin continué et transformé.
l’architecture : “la Grèce a inventé les ordres architecturaux, qui, jusqu’à la première moitié du XXe siècle, seront comme la syntaxe de base du langage architectural”. Du modeste tribunal d’une préfecture jusqu’à l’Assemblée nationale, les codes architecturaux de nos édifices publics historiques reprennent majoritairement ceux inventés sur les bords de la mer Égée il y plus de 2500 ans.
Vous trouverez ci-dessous mes notes complètes sur ce dossier du Figaro Histoire. Mais pour commencer, profitez de ce survol 3D de l'Acropole d'Athènes reconstituée. Notez les façades peintes du Parthénon et des temples (images par altair4.com) :
En complément, je vous recommande la lecture de mon article sur le livre Pourquoi la Grèce de Jacqueline de Romilly :
Sommaire
De quoi notre civilisation est-elle le nom ?
Ce que nous devons à l’Antiquité gréco-romaine
La Révolution de 1789
Appendix - “Ces idées chrétiennes qui ont bouleversé le monde” de J-F. Chemin
1. De quoi notre civilisation est-elle le nom ?
Article introductif de Michel de Jaeghere, journaliste et historien
nous avons reçu de la Grèce “la philosophie, les sciences, les canons de l’art classique, les sources de nos lettres, le cadre de nos institutions, notre conception de l’histoire, notre confiance placée dans la raison pour décrypter le livre de la Nature en même temps que pour régir les sociétés politiques, pour y substituer la délibération à la loi du plus fort ”
nous avons reçu de Rome “les bases de notre droit et les pratiques de notre justice, les fondements de notre urbanisme, l’aménagement de nos territoires, la conception de nos États et le modèle de nos administrations ; (…) la plupart de nos langues : avec elles, la manière dont nous pensons ; d’avoir été convertis sous son empire à la religion à laquelle il a donné son mode d’organisation et qui a pendant plus de 15 siècles régi notre morale et donné un sens ultime à nos existences.”
“Des Grecs, (...) les Européens ont hérité l’idée qu’il existe un Bien, un Beau et un Vrai accessibles à la conscience et qui, parce qu’ils correspondent à un accomplissement des potentialités communes à la nature humaine, surplombent le leg du passé et permettent, partant, de le juger, le jauger, l’émonder, autant que faire sa place aux influences étrangères, aux innovations venues d’ailleurs. Ils en ont retenu que si la tradition est vénérable, il lui appartient d’être critique, sauf à se condamner à un immobilisme stérilisant (...)”
Dans La Voie Romaine de Rémi Brague : les Romains reconnaissent la supériorité des intellectuelle des Grecs, s’approprient leur culture et la diffusent.
“Du christianisme (...), l’Europe a tiré sa foi dans la capacité d’amélioration du monde, né de la volonté de la toute-puissance divine, et qui lui avait été donné en partage pour le comprendre, le soumettre et l’embellir comme un aménage un jardin. De là l’idée de progrès, auquel il appartenait à chacun de contribuer par ses initiatives, la convocation que l’âge d’or était à construire dans l’avenir, plus qu’à regretter dans le passé. De là, l’élan vers l’exploration de la planète, la volonté de civiliser jusqu’aux extrémités de la terre (“entreprendre, étudier, apporter des soins diligents, sans épargner travail, dépense, dangers encourus jusqu’à verser son propre sang” selon le programme fixé en 1493 par le pape aux navigateurs espagnols et portugais entre lesquels il avait partagé les océans). De là, en même temps, la place faite aux questionnements, à l’idée que l’univers était régi par une Intelligence créatrice dont il nous appartenait de percer les desseins.”
“De la rencontre des traditions gréco-romaine et chrétienne, de leur incessante méditation, de leur intégration profonde d’être au monde, d’affronter note finitude et de trouver des raisons de vivre, d’entreprendre, de construire est née la plus extraordinaire des aventure dont l’histoire a été le théâtre : celle qui a permis aux Européens d’explorer et de conquérir la terre sans cesser d’être eux-mêmes, de donner un éclat sans pareil aux œuvres de l’art et de l’esprit et de mener à bien la révolution scientifique qui nous a permis de maîtriser l’énergie, de quadriller l’espace, de dominer le temps”
2. Ce que nous devons à l’Antiquité gréco-romaine
Un article d’Alexandre Grandazzi, Professeur à la faculté des lettres de Sorbonne université
Les langues romanes
“L’évidence est parfois ce qui se voit le moins : parce qu’elle est là, qu’elle ne se cache pas, on n’en prend pas conscience et on cherche ailleurs ce qui se trouve devant nous”
Le français n’est pas autre chose que du latin continué et transformé. C’est la petite-fille du latin (et fille des langues romanes). 85% de l’ensemble du vocabulaire français est d’origine latine.
“Si les Romains n’avaient pas parlé latin, nous ne parlerions pas français aujourd’hui”.
Architecture : du roman au néoclassique
Peu de domaines où l’héritage gréco-romain est plus visible qu’en architecture. Il suffit de se promener dans n’importe quelle ville européenne
“La Grèce a inventé les ordres architecturaux, qui, jusqu’à la première moitié du XX, seront comme la syntaxe de base du langage architectural”
Noblesse de l’ordre dorique, élégance de l’ordre ionique, profusion de l’ordre corinthien
L’art roman surgit de l’art romain pour exprimer une spiritualité d’une nouvelle ère.
Coupole : inventée par le Panthéon de Rome. A eu un grand destin dans l’architecture européenne
La statuaire antique et l’art occidental
“Parce que les hommes de l’Antiquité gréco-romaine concevaient les dieux à leur image, ils les ont représentés par des statues anthropomorphes, selon un type de sculpture mimétique destiné à une très longue postérité”
L’imprégnation antique dans la littérature européenne, de Dante à Corneille et à Goethe
Littérature médiévale et moderne européenne : s’est développée dans un constant rapport d’admiration et d’émulation avec ses ainées grecques et romaines.
L’Esprit des lois de Montesquieu : repose sur une méditation de la Politique d’Aristote, la République de Platon
Postérité du droit romain
Rome fut la civilisation du droit par excellence. Si toutes les civilisations ont connu un développement des normes juridiques pour réguler la société, c’est à Rome que le droit a pris la plus grande importance. Par exemple, la rédaction de la Loi des 12 tables est l’acte fondateur du droit écrit romain.
Aménagement du territoire : urbanisme et réseau routier.
Devenues romaine, les villes de Gaule se dotent d’un forum, d’un temple, d’un aqueduc.
Les institutions : démocratie, république, monarchie, empire
Tous les mots qui nous servent à désigner les institutions qui furent et sont le cadre des sociétés européennes viennent de la Grèce et de Rome.
Le rêve impérial traverse toute l’histoire européenne.
L’Histoire
Hérodote : le père de l’Histoire. Précurseur de Lévi-Strauss et de Michelet.
L’étude historique a trouvé certaines de ces lois fondamentales dès Hérodote :
interdépendance entre les coutumes, les institutions et la politique extérieure d’un pays
la distinction entre causes immédiates et causes profondes
l’idée que l’histoire est à la fois le récit des événements et leur explication
Philosophie
Platon : style limpide. Jamais de jargon.
Stoïcisme et épicurisme : 2 visions du monde promises à un grand avenir
Les sciences
Grande dette de la science occidentale à la science grecque. Les grands personnages des 3 révolutions scientifiques (Copernic, Galilée, Newton) : conscients de marcher sur les traces des prédécesseurs antiques
Concepts de latitude et longitude : vient de la redécouverte de la Géographie de Ptolémée au XVe siècle
Le concept de perspective géométrique : retrouvé par Pierro della Francesca dans un passage d’Euclide
Les termes décrivant les opérations essentielles du raisonnement scientifique sont grecs : hypothèse, théorème, problème
Le catholicisme, héritage des romains
Parce que l’empire constituait un espace relativement uniformisé, urbanisé et pacifié qui a donné à la religion chrétienne un immense potentiel d’expansion
A lire : “Une certaine idée de la Grèce. Entretiens avec Jacqueline Romilly” d’Alexandre Grandazzi
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3. La Révolution de 1789
Les révolutionnaires étaient imprégnés de culture gréco-latine
“On nous élevait dans des écoles de Rome et d’Athènes” : Camille Desmoulins (révolutionnaire français) en 1793, à propos de son collège Louis Le Grand
Le manuel de l’époque : De viris de l’abbé Lhomond. Les adolescents futurs révolutionnaires apprenaient une histoire romaine faite par les grands hommes, épris de liberté et assoiffés d’égalité
Robespierre : “Sparte brille comme un éclair dans les ténèbres immenses”
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4. Appendix - “Ces idées chrétiennes qui ont bouleversé le monde” de J-F. Chemin
Recension d’Eugénie Bastié
Dans Jesus in Beijing de David Aikman, un membre de l’académie chinoise des sciences explique la prééminence de l’Occident par le christianisme : “Une des choses que l'on nous avait demandé d'étudier et de regarder de près était la cause de ce qui a fait le succès, voire la prééminence, de l'Occident sur le monde entier.... Nous avons étudié tout ce que nous avons pu en partant d'une perspective historique, politique, économique et culturelle. Au début, nous avons pensé que vous [aux États-Unis d'Amérique] aviez un armement plus puissant que nous. Ensuite nous avons pensé que vous aviez un meilleur système politique. Puis, nous nous sommes concentrés sur votre système économique. Mais ces dernières vingt années, nous avons réalisé que le cœur de votre culture est votre religion : le christianisme. C'est la raison pour laquelle l'Occident est devenu aussi puissant. La fondation morale chrétienne de votre vie sociale et culturelle a rendu possible l'émergence du capitalisme, et sa transformation réussie vers une politique démocratique. Nous n'avons aucun doute sur ce sujet”
Césaro-papisme en Russsie orthodoxe : pas de séparation entre autorité spirituelle et politique
“Mauvaise conscience et sentiment de culpabilité” : trace évidente d’une mentalité chrétienne qu’aucune civilisation ne partage (pas de repentance dans les pays musulmans, en Chine ou au Japon). De même pour l’ouverture migratoire : propre à notre civilisation.
L’application du christianisme conduit-elle à son effacement ? C’est la thèse de Marcel Gauchet dans le Désenchantement du monde. C’est un défi permanent que lance le christianisme à la chrétienté : “Être en cohérence avec son origine (...) au péril même de sa survie en tant que civilisation chrétienne et donc terre de liberté”.
“Celui qui veut sauver sa vie la perdra” : ce commandement vaut-il pour une civilisation ?
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Que penses-tu de la contre analyse réalisée par l’historien Peter Frankopan dans « Les routes de la soie » ? L’auteur montre que l’héritage grec a été importé en Europe occidentale à la Renaissance pour donner un fondement historique « exotique ». Certes les auteurs avaient, pour certains, déjà essaimé, mais le gros de ce que nous considérons aujourd’hui comme la Grèce Antique est très largement fantasmé. Frankopan démonte complètement les thèses d’une origine gréco-romain en montrant que même Rome en était assez éloignée - culturellement et idéologiquement parlant.
Si tu ne l’as pas lu, je te recommande ce livre d’histoire qui remet en question bien des dogmes sur les fondements historiques et la place de l’Occident dans la marche de l’Histoire.