Chers lecteurs,
après l’entretien avec l’historienne Miho Matsunuma et la chronique du livre Les Leçons du Japon, poursuivons notre découverte de la civilisation japonaise avec le photographe Pierre-Elie de Pibrac dont l’exposition Portraits éphémères du Japon se déroule actuellement au Musée national des arts asiatiques (plus connu sous le nom de Musée Guimet) à Paris jusqu’au 15 janvier 2024. Si vous avez la possibilité de vous y rendre, je vous recommande vivement la visite.
Le photographe a passé 8 mois en immersion au Japon avec sa famille. Très loin de la carte postale, il souhaitait mieux comprendre le pays en photographiant des Japonais du quotidien dans une démarche proche de celle d’un anthropologue. Comme il me l’a expliqué, “la photo est pour moi l’alibi pour aller à la rencontre d’une culture et d’un peuple”.
Cet article est une sélection de 5 photos parmi la trentaine que regroupe l’exposition. Je suis allé interviewé le photographe au musée Guimet et, pour certaines photos, j’ai enregistré son explication pour mieux comprendre son travail. Un conseil : gardez la photo sous les yeux pendant que vous écoutez l’audio.
1. Le Salaryman
L’explication de la photo par le photographe Pierre-Elie de Pibrac :
2. Les évaporés
Le commentaire du photographe :
Une précision : au Japon, on appelle Yakuza le membre d’un groupe mafieux. Comme l’explique l’historien spécialiste du Japon Jean-Marie Bouissou dans Les Leçons du Japon, les Yakuzas ont aussi leur rôle dans la société japonaise. Par exemple, aller mettre un “coup de pression” à un propriétaire qui bloque un projet d’infrastructure en refusant de vendre son terrain.
3. Le bain public
Cette photo a été prise dans un sento (un bain public) à Yūbari, une ancienne ville minière isolée sur l’île d’Hokkaidō au nord du Japon. Le photographe a rencontré l’homme à droite sur la photo. Il n’a jamais quitté sa ville et met un point d’honneur à s’occuper des personnes agées. Les bains publics sont un endroit de socialisation pour cette population qui a le sentiment d’être oubliée.
A Yūbari, la moyenne d’âge est de 80 ans.
4. La décision
La femme a demandé au photographe de ne pas diffuser son nom. Pierre-Elie de Pibrac nous laisse interpréter la scène et deviner la réflexion qui occupe les pensées de la photographiée. Il nous invite aussi à réfléchir sur ce qui n’est pas présent sur la photo.
Seul indice donné par le photographe : la vaisselle cassée aux pieds de la femme fait référence au kintsugi, l’art japonais symbole de résilience qui consiste à sublimer la porcelaine brisée en la réparant avec de la laque composée de poudre d’or.
Peut-être pense-t-elle à la rupture, comme pourrait le suggérer le pantalon trainant dans le lavabo ? S’il est en augmentation, le taux de divorce au Japon est 5 fois inférieur à celui de la France. La procédure de divorce japonaise a ses spécificités : par exemple, la garde partagée des enfants des parents n’existe pas légalement, ce qui peut aboutir à des situations très difficiles si le divorce ne se fait pas à l’amiable. On estime à 150 000 le nombre d’enfants empêchés de voir leur père. Et si la durée précédente était de 6 mois, les femmes japonaises doivent toujours attendre 100 jours avant de pouvoir se remarier suite à un divorce.
5. L’orchidée de Fukushima
L’explication du photographe :
Conclusion
Avant de quitter le musée Guimet, j’ai demandé à Pierre-Elie de Pibrac quelles étaient les différences par rapport à nos sociétés occidentales qui l’avaient le plus marquées. Le photographe m’explique que durant son immersion dans la société japonaise, il “a fait attention à avoir une attitude empathique pour ne pas juger mais plutôt comprendre. La société japonaise est souvent très différente de nos sociétés, il y a des moments où on se dit “c’est une autre planète”. Mais tout n’est pas opposé. Quand on commence à comprendre le Japon, on le trouve extrêment logique. Par exemple, le fait que le collectif domine et parfois étouffe l’individu : ça s’explique en partie par la géographie. Le Japon, c’est une lutte perpétuelle contre la nature : volcans, tremblements de terre, forêts très denses, faible superficie de terres cultivables etc… Le Japon a dû mettre en place un système culturel spécifique, pour créer une société plus collective et résiliente. C’est logique, mais très difficile à décrypter pour un occidental”.
Sa réponse me fait penser à une remarque de Miho Matsunuma : “les Japonais croient fondamentalement qu’ils forment un peuple unique et différent, et que leur langue et leur culture resteront impénétrables aux étrangers”.
Enfin, Pierre-Elie de Pibrac m’a donné quelques conseils si j’ai un jour la chance d’aller au Japon : “passe du temps à Kyoto, certainement la ville plus extraordinaire du pays. Et si possible vas-y en train : si tu prends le Shinkansen (le TGV japonais) entre Tokyo et Kyoto, prends une place sur le côté droit du train (côté gauche dans le sens Kyoto - Tokyo). Sois attentif car tu pourras apercevoir le Mont Fuji au cours du trajet”.
Vous pouvez suivre les travaux de Pierre-Elie de Pibrac sur son instagram ou sur son site internet.
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Cette édition est fascinante, merci pour ces partages qui personnellement m’ont ouverts les yeux sur pas mal de détails concernant la culture japonaise ! Très sympa le format audio 😉
Super article ! Merci ❤️