Aux origines de l'architecture occidentale
Apprendre à lire nos monuments avec un historien de l'architecture
Un point rapide pour débuter : j’étais récemment invité sur BFM Business pour débriefer le sommet Choose France et faire un point d’étape sur mon étude Les 6 méga-usines que la France ne doit pas rater en 2024. Vous trouverez le replay ici.
Chers lecteurs,
parce qu’une civilisation s’incarne dans ses monuments, je souhaitais vous parler de l’architecture classique occidentale, c’est-à-dire le style architectural qui s’inspire de l’antiquité gréco-romaine et qu’on retrouve dans les villes d’Europe et d’Amérique du nord. Cette architecture est devenue un élément important de l’identité occidentale : par exemple, dans notre imaginaire, une façade avec une colonnade symbolise un bâtiment institutionnel comme un tribunal ou une mairie.
Je vais me baser sur les travaux de John Summerson, historien britannique et auteur du Langage classique de l’architecture, qui décrit le style classique comme « le latin de l’architecture occidentale ». Ce livre m’a par exemple appris l’origine d’éléments architecturaux que nous croisons régulièrement en Europe, comme la colonne.
Les origines du style classique
Ce style trouve ses racines dans l’architecture des temples grecs et dans l’architecture religieuse, militaire et civile des Romains. Si elle est née en Grèce, c’est à la Renaissance qu’elle réapparaît en Europe, après les siècles gothiques et ses grandes cathédrales (du XIIe au XVe siècles). C’est au cours de cette période marquée par un regain d'intérêt pour les réalisations de l’antiquité qu’est formalisée l’architecture classique occidentale.
Alberti, Palladio et Serlio, des architectes italiens du XVIe siècle, rédigent des traités architecturaux en reprenant les travaux de Vitruve, le célèbre architecte romain. Pour John Summerson, ces traités « devinrent la bible architecturale du monde occidental ». Le style classique apparaît logiquement en Italie puis se propagera dans toute l’Europe et aux Etats-Unis au cours des siècles suivants.
Les Ordres, fondements du style classique
L'architecture classique se distingue par la recherche d’harmonie et de symétrie. En deux mots : ordre et beauté. Elle utilise les colonnes et les frontons, inspirés des temples grecs et romains. Cette approche vise à créer des bâtiments à la fois fonctionnels et esthétiquement plaisants, où chaque élément contribue à l'ensemble avec grâce et équilibre.
L’élément fondamental de l’architecture classique, ce sont ses Ordres. Un ordre définit le style et les proportions des colonnes. Ces dernières sont rigoureusement calculées selon des ratios précis, comme le rapport entre la hauteur et la largeur d'une colonne.
On compte 5 ordres : 3 grecs (dorique, ionique et corinthien) et 2 romains (toscan et composite). L’architecte romain Vitruve les décrit au Ier siècle av. J.-C. dans son De architectura et les architectes italiens les redécouvriront à la Renaissance. Décrivons-les brièvement :
l’ordre toscan est trapu, presque primitif. Il s’inspire des temples étrusques (une civilisation pré-romaine de la péninsule italienne) ;
l’ordre dorique est le plus ancien des ordres grecs. Sobre et sévère, il est utilisé pour les édifices importants comme le célèbre Parthénon athénien. Pour Vitruve, c’est l’ordre le plus masculin et ses proportions s’inspirent du corps d’un homme : « les Grecs mesurèrent le pied d’un homme, et, trouvant qu’il était la huitième partie de la hauteur du corps, ils appliquèrent à leurs colonnes cette proportion : quel que fut le diamètre de la colonne à son pied, ils donnèrent à la tige, y compris le chapiteau, une hauteur égale à huit fois ce diamètre1 » ;
l’ordre ionique, très élancé, est reconnaissable grâce aux chapiteaux des colonnes ornées de volutes (ces fameux rouleaux qui coiffent la colonne) ;
l’ordre corinthien, de haute taille et très élaboré, se distingue par son chapiteau de feuilles d’Acanthe, une fleur méditerranéenne. Pour Vitruve, c’est l’ordre le plus féminin. La hauteur d’une colonne corinthienne, plus élancée que la colonne dorique, doit être égale à 10 fois le diamètre du fût de la colonne. Il est apparu à Athènes au IVe siècle av. J.-C. ;
l’ordre composite : créé par les Romains, il combine une base ionique, un fût de colonne dorique et un chapiteau ionique ou corinthien.
Serlio, architecte italien de la Renaissance, recommande d’utiliser les ordres en fonction de la destination du bâtiment : le dorique doit être utilisé pour les églises dédiées aux saints masculins (Saint Paul, Saint Pierre), l'ordre ionique pour les saintes et hommes de savoir et le solide ordre toscan pour les fortifications et les prisons. Serlio eut une très forte influence en France : pour John Summerson, « les architectes français doivent à peu près tout à Serlio et à son traité ».
Certain bâtiments combinent plusieurs ordres comme les Invalides à Paris, construit au XVIIe siècle. La façade est composée de trois ordres : dorique au rez-de-chaussée, corinthien au premier étage et composite au dernier.
L’architecture de l’Occident
De nombreux édifices emblématiques du monde occidental sont construits selon les règles de l'architecture classique.
Commençons avec les Etats-Unis et la façade de Wall Street, la bourse de New-York. Avec son fronton et ses colonnes corinthiennes, elle ressemble à un temple antique. Son architecture s’inspire du Panthéon de Rome et de la Maison Carrée de Nîmes.
Quand les Etats-Unis construisirent leurs grands batiments institutionnels, l’architecture classique s’est naturellement imposée. Les fondateurs de la jeune démocratie souhaitaient tracer un lien fort avec la Grèce antique démocratique et la Rome républicaine : ils le firent par l’architecture. Par exemple, le célèbre Capitole de Washington (le nom fait d’ailleurs référence à la colline du Capitole à Rome), avec ses colonnes, son fronton et sa coupole inspirée du Panthéon de Rome, est un exemple chimiquement pur d’architecture classique.
En France, les monuments classiques les plus connus sont le Panthéon, la Colonnade du Louvre ou l’église de la Madeleine. J’apprécie particulièrement cette dernière, qui est comme un hommage aux temples grecs en plein coeur de Paris. C’est un exemple parfait du style classique : admirez les proportions et les superbes colonnes corinthiennes.
Savoir lire un monument classique
Pour apprécier pleinement un bâtiment classique, John Summerson nous invite à analyser les nuances distinctes de grâce et de grandeur qu’offrent les colonnes doriques, ioniques et corinthiennes. Les frontons triangulaires et les frises sculptées ajoutent des éléments décoratifs et narratifs, souvent inspirés de la mythologie et de l'histoire.
Ces ordres continuent d'inspirer et de symboliser les valeurs de rationalité et de beauté au cœur de la civilisation occidentale. La prochaine fois que vous passez devant un monument classique, scrutez-en les colonnes et essayez de deviner l’ordre. Ces formes qui ont traversé les siècles nous ont été léguées par les Grecs et les Romains.
Pour comprendre ce que nous devons à Athènes et à Rome au delà de l’architecture, je vous conseille mes notes de lecture sur un dossier du Figaro Histoire :
Retrouvez l’ensemble des numéros précédents de Chroniques occidentales sur la page d’accueil du site.
VITRUVE, De Architectura, III, 1, 7 (« D’après quel modèle on a établi les proportions des temples »)
Vitruve (qui a inspiré Léonard de Vinci pour sa célèbre figure représentant un homme, bras et jambes écartés, tenant à la fois dans un cercle et un carré) est disponible aux Belles Lettres dans une édition complète :
https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251445076/de-l-architecture
Vraiment passionnant ! Ce qui me marque, c’est le respect des proportions humaines pour tailler celles des colonnes. Très symbolique.