Les 6 méga-usines que la France ne doit pas rater en 2024
6,5 Md€ d’investissements et 5 500 emplois sont en jeu
Chers lecteurs,
tout d’abord bienvenue aux nouveaux abonnés : vous êtes désormais plus de 1 600 à suivre les Chroniques occidentales. Vous trouverez l’ensemble des articles précédents sur la page d’accueil (ici).
Après notre immersion dans l’identité japonaise, retour en Europe pour un numéro spécial. En février 2023, je publiais l’étude « Méga-usines: 5 grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater en 2023 ». Grâce à sa diffusion sur X (ex-twitter), mon travail avait reçu une couverture médiatique à laquelle, je dois vous l’avouer, je ne m’attendais pas (BFM Business par exemple). La réindustrialisation est un des enjeux majeurs de notre décennie : ceci explique sûrement cela.
Je publie aujourd’hui l’édition 2024 de l’étude dans laquelle je fais le bilan des grandes implantations industrielles en France en 2023 et repère les projets à ne pas rater en 2024. Vous la trouverez ci-dessous.
En vous souhaitant une très belle année,
Guillaume
« Méga-usines » : 6 grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater en 2024
En février 2023, je publiais l’étude « Méga-usines: 5 grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater en 2023 ». Alors que la France avait vu de gros projets industriels lui passer sous le nez au cours des années précédentes (Tesla, Intel), je souhaitais montrer que de nouvelles grandes implantations industrielles étaient à l’étude en Europe et que la France ne devait pas rater « la séance de rattrapage ». Un an plus tard, cette nouvelle étude vise à :
faire le bilan de l’année 2023 concernant l’implantation de « méga-usines » en France : les victoires, les défaites et les batailles annulées ou reportées ;
détailler les 6 grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater en 2024 ;
faire le point sur les mesures prises pour l’attractivité de la France concernant les grandes implantations industrielles et proposer des pistes d’amélioration.
La France a aujourd’hui d’autant plus besoin d’accueillir les prochaines « méga-usines » prévues en Europe qu’elle s’est nettement plus désindustrialisée que ses voisins européens. Je précise que je n’oppose pas l’accueil d’investissements industriels étrangers au soutien au tissu industriel national existant : notre pays doit jouer sur les deux tableaux s’il veut remonter la pente. Accueillir les grands investissements industriels à venir en Europe permettrait à la France de :
conserver une taille critique industrielle pour réduire l’écart qui s’est creusé avec nos partenaires européens ;
réduire notre déficit commercial massif ;
réduire son empreinte carbone en produisant sur son sol plutôt qu'en important ;
et gagner en souveraineté industrielle.
Dans cette étude, nous définissons « méga-usine », gigafactory ou investissement industriel étranger de grande taille de cette façon : un projet industriel supérieur à 500 M€ porté par des capitaux majoritairement étrangers faisant l’objet d’une compétition entre pays pour l’accueillir.
Sommaire
I. Bilan de l’année 2023 concernant les grandes implantations industrielles en France
A. Les victoires
1. Prologium
2. Novo Nordisk
3. Holosolis
B. Les défaites
1. BYD
2. TSMC
C. Ces batailles qui n’ont pas eu lieu
1. Vinfast
2. Samsung
D. Tableau récapitulatif de l’année 2023
II. 6 grandes implantations industrielles à ne pas rater en 2024
A. Moderna
B. Tesla
C. Skeleton Technologies
D. Alteo-Wscope
E. Umicore
F. L’usine européenne d’un constructeur chinois
G. Tableau récapitulatif : 6,5 Md€ d’investissements et 5 500 emplois en jeu
III. Se donner les moyens de remporter ces implantations
A. Des mesures prises…
1. La politique de l’offre
2. La loi industrie verte
3. Les sommets Choose France, un soft power à la française
B. mais l’attractivité de la France doit encore s’améliorer
1. Menaces sur la politique de l’offre ?
2. Foncier, simplification administrative, formation, ministère dédié : la bataille de la réindustrialisation est encore loin d’être gagnée
3. Les inquiétudes des industriels sur la valorisation de l’atout nucléaire
Conclusion
I. Bilan de l’année 2023 concernant les grandes implantations industrielles en France
A. Les victoires
1. Prologium
Le fabricant taïwanais de batteries de nouvelle génération a choisi Dunkerque pour implanter son usine à 5,2 milliards d’euros. Le port français était en compétition avec un site aux Pays-Bas et un site en Allemagne. 3 000 emplois devraient être créés à terme. C’est un très belle victoire pour la Vallée de la batterie des Hauts-de-France qui consolide sa position de pôle majeur du véhicule électrique en Europe.
On peut distinguer 5 raisons principales à ce succès :
accès à une électricité décarbonée et compétitive grâce à l’atout nucléaire ;
un écosystème industriel de la batterie en création dans le nord de la France (création de formations dédiées, implantation d'acteurs en amont et aval de la chaine de valeur de la batterie) ;
une subvention de 1,5 milliard d'euros en plusieurs tranches jusqu'en 2029 ;
une très forte implication et un lobbying offensif des acteurs publics sur le dossier, du président de la République aux élus locaux en passant par Business France et Nord France invest qui ont joué collectif pour convaincre les dirigeants de l'entreprise de faire le projet en France ;
le vice-président de Prologium est un français ancien de chez Renault.
2. Novo Nordisk
En novembre, le géant pharmaceutique danois a annoncé investir 2,1 Md€ pour agrandir son usine de Chartres. La France était en compétition avec l’Irlande pour accueillir cette « gigafactory pharmaceutique ». C'est une belle victoire française qui permettra d'agrandir et de pérenniser un site pharmaceutique majeur, de créer 500 emplois et de réduire le déficit commercial national.
J’ai analysé les déclarations de plusieurs acteurs de ce dossier (cadres de Novo Nordisk, journalises spécialisés, autorités françaises) et 6 raisons semblent expliquer ce choix, classées ici de la plus à la moins cruciale :
1. Novo Nordisk voulait aller vite pour augmenter ses capacités de production suite à l’explosion de la demande mondiale de produits anti-obésité et anti-diabète et agrandir un site existant est plus rapide qu'en construire un nouveau. Mis à part le Danemark où il venait d’annoncer un investissement de 6 Md€ sur son site historique, Chartres est le seul autre site européen de l’entreprise ;
2. la politique pro-business du gouvernement (baisse des impôts de production, de l'impôt sur les sociétés et réforme du marché du travail) a rassuré l’entreprise danoise quant à la compétitivité long terme du site et à la rentabilité de l'investissement ;
3. l’électricité décarbonée grâce au nucléaire : le PDG de Novo Nordisk a souligné ce point crucial car l'entreprise est très engagée dans la transition énergétique et vise la neutralité carbone en 2045 ;
4. le très fort lobby du président de la République et de Bercy : le PDG de Novo échangeait en direct avec le Président et a participé au sommet Choose France de mai 2023. Il a salué la réactivité des autorités françaises pour concrétiser rapidement le projet ;
5. la position géographique de la France, bien placée pour servir le marché européen ;
6. et les réformes en cours pour réduire les délais de mise sur le marché des médicament en France et sur la fixation des prix du médicament. Mais ce n'est pas le facteur le plus important car l'usine est taillée pour l'export.
Plus globalement, la tendance concernant les investissements étrangers dans l'industrie pharmaceutique en France est positive ces derniers mois avec plusieurs annonces importantes : Novo Nordisk (2,1 Md€), GSK (350 M€), Lilly (160 M€), Pfizer (1 Md€ en R&D). L'Allemagne est aussi dans la course (2,5 Md$ investis par Lilly).
3. Holosolis
Le consortium européen Holosolis a annoncé en mai 2023 qu’il investira 710 M€ pour construire l’une des plus grandes usines de cellules et de panneaux photovoltaïques d’Europe à Hambach (France), près de Sarreguemines en Moselle. 1 700 emplois devraient être créés. C’est un investissement crucial : 90% des panneaux installés en Europe sont importés de Chine. Avec une production annuelle de 5 gigawatts, cette usine pourra équiper un million de foyers européens par an.
Plusieurs sites européens étaient en concurrence. Le site d’Hambach a été choisi en partie car c'est un site industriel clé en main. Un précédent projet d'usine de panneaux photovoltaïques pour lequel le site avait été viabilisé et préparé a finalement été annulé. Le site était donc disponible pour accueillir un nouveau projet "qui voulait aller vite".
La concertation publique est en cours et le chantier devrait débuter cet été.
B. Les défaites
1. BYD
Le constructeur chinois BYD, n°1 mondial des véhicules électriques devant Tesla, a choisi la Hongrie pour implanter sa future usine européenne. La France était en lice, aux côtés de l’Allemagne, de l’Espagne, de la Pologne et du vainqueur magyar. Bruno Le Maire s’était rendu à Shenzhen en août pour rencontrer le PDG de BYD et tenter de le convaincre de faire l’usine en France. Cela n’aura pas suffi.
Alors que le déficit commercial automobile français atteint 20 Md€ en 2022, cette usine était pour la France l'occasion de réitérer le succès de l'implantation de Toyota à Valenciennes en 2001. L’usine du constructeur nippon est depuis devenue le premier site automobile française en nombre de véhicules produits et la majorité de sa production est exportée.
Gagner l’usine BYD aurait également l’occasion de laver l’échec Tesla : la gigafactory européenne de l’entreprise d’Elon Musk, qui s'est installée à Berlin en 2019, emploie déjà 11 000 personnes. La taille de l’usine hongroise de BYD pourrait être proche de celle de l’usine allemande du constructeur américain.
2. TSMC
Si la décision était déjà dans l’air, ce n’est qu’en août 2023 que TSMC a officialisé l’implantation de sa première usine européenne à Dresde, dans l’est de l’Allemagne. Le géant taïwanais des puces investira 10 Md€ et créera 2 000 emplois. Le pire dans ce dossier est que la France ne semble pas avoir été sérieusement envisagée comme pays d’implantation. Par sa taille critique, la Silicon Saxony, le pôle industriel de microélectronique autour de Dresde, domine aujourd’hui le paysage européen des semi-conducteurs : TSMC s’y est implanté, entre autres, car il peut y trouver les fournisseurs dont il a besoin.
Cette nouvelle implantation vient creuser l’écart d’investissements dans les semi-conducteurs entre la France et l’Allemagne : si c’est près de Grenoble que STMicroelectronics et GlobalFoundries investissent 8 Md€, notre voisin d’outre-Rhin cumule 50 Md€ d’investissements depuis 3 ans (Intel, TSMC, Wolfspeed, Infineon etc…), soit un rapport de 1 à 6. Dans les puces, l’Allemagne plie le match.
C. Ces batailles qui n’ont pas eu lieu
1. Vinfast
Je dois reconnaître que je me suis un peu emballé sur le dossier Vinfast. Si Olivier Becht, ancien ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité, a bien rencontré les dirigeants du constructeur vietnamien lors d’un déplacement en Asie en mars 2023, Vinfast n’implantera une usine en Europe avant plusieurs années. L’entreprise vient de débuter le chantier de son usine américaine mais, pour le marché européen, elle se contentera pour l’instant d’exporter ses voitures depuis son usine vietnamienne. Le constructeur vietnamien vient également d’annoncer un investissement de 2 Md$ pour construire une usine en Inde.
2. Samsung
Comme pour Vinfast, je signalais dans mon étude de l’an passé que le géant coréen de l’électronique étudiait, à l’instar de ses concurrents, la possibilité de construire une usine en Europe. Si le projet n’est pas annulé, celui ne se fera pas de suite. Comme le révélait en juin 2023 le mensuel économique coréen BusinessKorea, Kyung Kye-hyeon, directeur de la filiale semi-conducteurs de Samsung, s'est rendu dans plusieurs régions européennes, notamment à Munich et Stuttgart en Allemagne, à Genève en Suisse, à Amsterdam aux Pays-Bas et à Tel-Aviv en Israël, afin de découvrir les écosystèmes locaux. Toutefois, Samsung ne construira pas d’usine en Europe à court terme. L’entreprise est déjà en train d’investir plusieurs dizaines de milliards de dollars pour construire des usines de semi-conducteurs en Corée et aux États-Unis et préfère temporiser concernant ses projets européens.
D. Tableau récapitulatif de l’année 2023
Le bilan de la France en 2023 dans la compétition pour les grandes implantations industrielles en Europe est mitigé.
D’une part, la tendance est plutôt positive par rapport aux années précédentes car la France gagne de plus en plus d’arbitrages sur des projets importants. Il faut souligner la mobilisation pour obtenir des victoires sur les dossiers Prologium, Novo Nordisk et Holosolis.
Mais d’autre part, la défaite sur le dossiers BYD et TSMC vient noircir le tableau car ce sont les deux annonces les plus structurantes de l’année en Europe. Il s’agit rien de moins que du n°1 mondial de la voiture électrique et du n°1 mondial des puces qui ont annoncé leur première usine européenne cette année et aucun n’a choisi la France. Rajoutons que ce sont des implantations nouvelles, contrairement à Novo Nordisk qui est une extension de site existant.
Il y a également un facteur risque à prendre en compte : si BYD, TSMC et Novo Nordisk sont des leaders industriels mondiaux bien installés, Prologium et Holosolis sont de jeunes entreprises qui n’ont encore jamais construit d’usines de grande taille.
J’avais réalisé un tableau récapitulatif des projets pour conclure mon étude de l’année dernière : voici donc sa version actualisée.
J’ajoute qu’il aurait été artificiel d’ajouter à cette liste les investissements annoncés en 2023 de XTC/Orano à Dunkerque (1,5 Md€ pour une usine de composants de batteries) et de Carbon à Fos-sur-mer (1,5 Md€ pour une usine de panneaux solaires) : concernant le premier projet, rien n’indique que Dunkerque fut en concurrence avec d’autres sites européens et, concernant le second, c’est une entreprise à capitaux français dont les 3 sites de la short-list étaient situés en France (pas de compétition européenne).
2024 sera une année chargée en grandes implantations industrielles en Europe : analysons maintenant les 6 implantations pour lesquelles la France est en lice.
Vous trouverez également un tableau récapitulatif pour l’année 2024 à la fin de la partie suivante.
II. 6 grandes implantations industrielles à ne pas rater en 2024
Plusieurs entreprises étrangères ont annoncé vouloir implanter en Europe une usine nécessitant un investissement supérieur à 500 millions d’€. Parmi les projets les plus importants, voici les 6 prochaines implantations qui pourraient faire l’objet d’une annonce en 2024 et que la France ne doit pas rater.
A. Moderna
C’est un dossier en discussion depuis plusieurs mois que j’avais déjà intégré à mon étude de l’année dernière : l’entreprise américaine est en discussion avec plusieurs gouvernements européens pour l’implantation d’une usine à technologie ANRm dans un pays de l’Union européenne. C’est l’opportunité d’une séance de rattrapage pour la France : Moderna a annoncé en juin 2022 une première usine européenne au Royaume-Uni qui pourra produire 250 millions de doses de vaccin par an. 150 emplois hautement qualifiés seront créés. Le laboratoire va investir 1,1 milliards de livres car le gouvernement britannique a su se montrer convaincant : il s’engage à acheter des vaccins à Moderna pendant 10 ans.
Aux dernières nouvelles (interview de Stéphane Bancel, le PDG français de Moderna sur BFM TV en septembre 2023), c’est en France que Moderna voudrait construire sa première usine au sein de l’UE. La PDG a annoncé que Moderna avait fait une proposition au gouvernement français. Les négociations sont toujours en cours car Moderna voudrait que l'Etat s'engage à acheter la production de l'usine dans la durée, comme au Royaume-Uni. Cette sortie médiatique du PDG de l'entreprise américaine est donc un moyen de mettre la balle (et la pression) dans le camp du gouvernement. L’investissement serait de 1 milliard d’euros et le projet est « en discussion avancée avec le gouvernement français » confiait déjà Sandra Fournier, directrice de Moderna France, à L’Usine Nouvelle en septembre 2022. Cette usine est cruciale à la souveraineté française et européenne dans les vaccins.
La négociation entre Moderna et le gouvernement français doit être serrée car si le chiffre d’affaire de l’entreprise américaine est passé de 60 M$ en 2019 à 19 Md$ en 2021, celui-ci est redescendu à 6 Md$ en 2023, suite à la baisse des ventes de vaccins contre le covid.
B. Tesla
La France serait dans la course pour accueillir une future usine Tesla européenne : Bruno Le Maire confirmait en juin que des discussions étaient en cours et que plusieurs options étaient sur la table. La présence d’Elon Musk au dernier sommet Choose France en mai 2023 et au salon Vivatech à Paris en juin 2023 semblerait confirmer l’intérêt du patron de Tesla pour la France. Il avait d’ailleurs déclarer à l’occasion de cette dernière visite qu’il est « très probable que Tesla fera quelque chose de très important en France dans les années à venir ». Mais attention à ne pas surinterpréter : Elon Musk entretient volontairement le flou et rencontre régulièrement les dirigeants de ce monde pour parler de potentiels investissements industriels (Italie, Inde…). Ce serait néanmoins l’occasion pour la France de laver l’échec de 2019 lorsque Tesla avait choisi Berlin pour sa gigafactory européenne.
Même si on en sait peu concernant les prochains investissements de Tesla en Europe, 4 options seraient sur la table d’après différents articles de la presse spécialisée européenne :
une usine d’assemblage automobile pour compléter la gigafactory Berlin. Tesla voudrait une seconde usine européenne et la presse espagnole a révélé que Valence était dans la short-list, avec le Royaume-Uni, l’Italie et la France ;
une usine de batteries électriques pour l’automobile ;
une usine de megapacks (station de stockage d’énergie composée de plusieurs batteries haute puissance), via sa filiale Tesla Energy. Tesla possède déjà une Megapacktory aux Etats-Unis et vient de lancer la construction d’une usine similaire en Chine ;
une usine de panneaux solaires, via sa filiale Tesla Energy. C’est peu connu mais Tesla est aussi un fabricant de panneaux solaires. La France pourrait accueillir une usine dédiée au marché européen.
C. Skeleton Technologies
Skeleton Technologies est une entreprise estonienne qui produit des batteries à haute puissance utilisées dans les transports (trains, camions) ou le stockage d'énergie. La start-up industrielle a levé 300 M€, possède une 1ère usine en Allemagne et compte Siemens parmi ses actionnaires et clients.
L’entreprise s’apprête à choisir l’implantation de sa future usine européenne à 550 millions d’euros. 3 pays sont dans la short-list : l’Allemagne, la Finlande et la France. Les sites étudiés dans l’hexagone sont situés dans les Hauts-de-France : si l’implantation se faisait, ce serait un nouveau site de production pour la vallée de la batterie. Les critères qui feront la décision sont nombreux : prix du foncier et de l’énergie, subventions mais aussi présence d’un écosystème autour de la batterie car l’entreprise souhaite joindre un centre R&D à l’usine.
Le PDG de Skeleton a participé au dernier sommet Choose France et il accompagnait en octobre dernier à Paris avec la Première ministre estonienne qui effectuait un déplacement sur le thème de la coopération économique franco-estonienne.
D. Alteo-Wscope
Le fournisseur français d’alumine Alteo et le sud-coréen Wscope ont annoncé en novembre 2022 vouloir investir 600 M€ dans les Hauts-de-France pour construire une usine de production de films de séparateurs (éléments clés de la batterie, situés entre la cathode et l’anode) de batteries électriques. Ce site vise à alimenter les futures gigafactories de batteries des Hauts-de-France. La commune d’implantation devait être précisée dans les mois suivants mais les entreprises n'ont plus donné de nouvelles du projet depuis un an. D’après la presse régionale, Valenciennes serait parmi les sites pressentis mais mis en concurrence avec des sites étrangers, en particulier aux Etats-Unis.
E. Umicore
Umicore, industriel belge spécialiste des matériaux, hésite entre le nord de la France et la Flandre belge pour implanter sa future usine européenne de recyclage de batteries de voitures électriques.
Le manque de main d'œuvre et de terrains dans la Flandre belge ainsi que la longueur des procédures administratives pourraient pousser l'entreprise à choisir la France pour cet investissement de 500 M€. Un autre élément crucial : le niveau de subvention. Le gouvernement régional flamand a promis 55 M€ de subvention à Umicore si l'entreprise décidait de faire l'usine à Anvers ou à Zeebruges, soit 10% du coût du projet. Or la France n'hésite pas à offrir des subventions représentant 20 à 30% du coût d'un projet. Par exemple, la Commission européenne a autorisé l'État français à verser une subvention de 1,5 milliard d'euros au fabricant taïwanais pour installer sa première usine de batteries européenne à Dunkerque (Nord).
L’industriel belge devait prendre sa décision à la fin de l’année 2023.
F. L’usine européenne d’un constructeur chinois
Je ne me réjouis pas de l’essor des constructeurs automobiles chinois : BYD a par exemple annoncé vouloir « détruire les vieilles légendes de l’automobile », ciblant ainsi les marques européennes. J’espère voir Renault réussir son audacieux pari industriel : en créant le pôle industriel Electricity, la marque au losange veut produire 1 million de véhicules électriques dans le nord de la France en 2030 (j’en parle ici).
Mais je suis pragmatique : comme l’ont fait les constructeurs japonais et coréens, les constructeurs chinois vont se faire une place sur le marché européen. Après l’échec BYD, il s’agit pour la France de récupérer un de ces futurs sites de production pour éviter de creuser son déficit commercial automobile. Je pense en particulier aux 3 constructeurs qui ont annoncé vouloir construire une usine en Europe : SAIC MG, Chery et Great Wall Motors.
L’hebdomadaire Challenges a récemment révélé que le constructeur chinois de voitures électriques SAIC, qui possède la marque célèbre marque britannique MG, pourrait construire son usine européenne en Moselle, sur l’ancien site de Smart à Hambach. Mais la concurrence est rude : l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie sont aussi sur les rangs.
Le constructeur chinois Chery veut également 2 usines en Europe : une au Royaume-Uni et une dans l’Union Européenne. L’Espagne, l’Allemagne, la Roumanie, l’Italie et la France sont en lice. Mais l’Espagne semble la grande favorite : d’après la presse espagnole, le constructeur chinois ciblerait le site de l'ancienne usine Nissan de Barcelone. La décision d’implantation serait imminente.
Le troisième constructeur chinois souhaitant implanter un site de production en Europe est Great Wall Motors. Mais le France ne semble pas considérée pour le moment : les 3 pays étudiés seraient l’Allemagne, la Tchéquie et la Hongrie d’après un média spécialisé européen.
G. Tableau récapitulatif : 6,5 Md€ d’investissements et 5 500 emplois en jeu
Ces 6 grands projets industriels dont le lieu d’implantation devrait être décidé en 2024 représentent plus de 6,5 Md€ d’investissements et près de 5 500 emplois.
Si certains leviers ne sont pas entre les mains du gouvernement et des collectivités, par exemple la présence d’un écosystème industriel préexistant, l’action publique peut être décisive à de nombreux niveaux :
disponibilité de grands terrains rapidement constructibles ;
montant des subventions ;
population active bien formée ;
et électricité décarbonée et compétitive.
III. Se donner les moyens de remporter ces implantations
Examinons maintenant les mesures prises et à prendre pour attirer ces grands projets industriels. Nous verrons que si des réformes récentes ont amélioré l’attractivité du pays, tout n’est pas encore en place pour se donner les moyens de remporter de grandes implantations industrielles.
A. Des mesures prises…
1. La politique de l’offre
Le choix d’un site pour un projet industriel repose sur des critères qualitatifs (disponibilité du terrain, infrastructures, qualité de la main d’œuvre, écosystème local, relation avec les pouvoirs publics…) et quantitatif (niveau de subvention, prix de l’énergie, coût et disponibilité de la main d’œuvre, niveau d’imposition). Les grands groupes disposent d’équipes dédiées aux nouveaux projets industriels : elles analysent et comparent chaque composante de l’attractivité d’un pays. La compétitivité-prix est une des dimensions fondamentales.
Au sein des différentes études comparatives (ou benchmarks) utilisés par les industriels, la situation de la France s’est globalement améliorée ces dernières années notamment grâce aux réformes s’inscrivant dans la « politique de l’offre » :
taux d’impôt sur les sociétés ramené de 33% à 25% entre 2017 et 2022 ;
CICE pour réduire le coût du travail ;
baisse de 18 Md€ des impôts de production (baisse de CVAE de 10 Md€ en 2022, 4 Md€ en 2023, 4 Md€ d’ici 2027) ;
aux réformes du marché du travail ;
et à la récente réforme du lycée professionnel, dont un des objectifs est de répondre aux pénuries de main d’œuvre dans l’industrie.
2. La loi industrie verte
L’année 2023 fut celle du vote de la loi industrie, venue améliorer la situation de la France sur un sujet où elle était à la traîne : les délais d’implantation des sites industriels. Le rapport « Simplifier et accélérer les implantations d’activités économiques en France » remis par Laurent Guillot au gouvernement en mars 2022 montrait que les délais moyens d’implantation d’une usine étaient de 8 mois en Allemagne et de 17 mois en France.
La loi industrie verte, promulguée le 23 octobre 2023, est venue apporter des premières réponses. Je retiens en particulier 2 mesures concernant les grandes implantations industrielles :
la simplification de la procédure d'autorisation environnementale permettant l’accélération de l'implantation de nouvelles usines. L'instruction par les services et par l'autorité environnementale et la consultation du public seront menées en parallèle. L'objectif est de diviser par deux les délais de délivrance des autorisations, de 17 mois aujourd'hui à neuf mois demain ;
la création d’une procédure exceptionnelle simplifiée pour les projets industriels d'intérêt national majeur permettant la mise en compatibilité plus rapide des documents locaux d’urbanisme et des documents de planification régionale, des procédures de raccordement électrique accélérées ou la délivrance du permis de construire par l’État et non plus par les communes. Cette procédure dérogatoire concernera les projets de très grandes usines (gigafactories), qui seront identifiés par décret.
En parallèle, en réponse à l’IRA (inflation reduction act) américain, le projet de loi de finances pour 2024 met en place un crédit d'impôt investissement industries vertes (C3IV) pour attirer les investissements industriels dans l'éolien, le photovoltaïque, les batteries et les pompes à chaleur. Celui-ci fut certainement un facteur décisif pour convaincre le groupe français Atlantic d’investir 150 millions d’euros de construire sa nouvelle usine de pompes à chaleur à Châlons-sur-Saône plutôt qu’en Pologne.
3. Les sommets Choose France, un soft power à la française
Enfin, les sommets Choose France se révèlent un outil de soft power offensif et efficace, et c’est The Economist qui le dit. Dans un article de novembre 2023, l’hebdomadaire explique que ces sommets à Versailles sont un atout pour la France quand il s’agit de gagner de grands projets industriels internationaux. Quand un PDG hésite entre 2 pays pour un projet d’investissement, des têtes-à-têtes avec le président et les ministres concernés lui assurant que les autorités soutiendront son projet sur toutes les dimensions (règlementaire, financière et rapidité d’exécution) peuvent faire pencher la balance du bon côté.
Dans son rapport Boosting foreign direct investment in the UK de novembre 2023 destiné au ministère de l’économie britannique, l’ancien député anglais Richard Harrington salue lui aussi cette politique de soft-power qui semble convaincre les investisseurs internationaux : « Un certain nombre de hauts représentants d'entreprises auditionnés pour ce rapport ont déclaré que leurs PDG étaient habitués à recevoir des textos directement du président Macron, à être invités au château de Versailles et à se voir dérouler le tapis rouge. Un conglomérat international pesant plus de 300 milliards de dollars et opérant dans plus de 150 pays a déclaré que ces relations étaient essentielles à la façon dont ils font des affaires ».
Choose France commence à être identifié comme un sommet d’affaires international important : je pense qu’il faut pérenniser cet outil, même en cas d’alternance politique.
B. Mais l’attractivité de la France doit encore s’améliorer
1. Menaces sur la politique de l’offre ?
Dans un entretien aux Echos fin décembre 2023, Louis Gallois, dont le rapport éponyme de 2012 a marqué le début de la politique de l’offre, alerte sur le très mauvais signal envoyé à l’industrie par la réduction des allègements de charge sur les salaires de 2,5 à 3,5 SMIC actée dans le budget 2024. Ce surplus de charge va peser plus que proportionnellement sur l’industrie, car elle verse des plus hauts salaires (supérieurs à 2,5 SMIC) : alors qu’elle représente 10% du PIB, l’industrie règlera 20% du montant total de ce rabot sur les allègements de charge, soit 140 millions d’euros par an d’après Louis Gallois. Mis en parallèle avec l’étalement de la suppression de la CVAE sur 4 ans (et non en une seule fois), ces récentes décisions ne peuvent qu’inquiéter les industriels français. Pendant ce temps-là, la coalition au pouvoir en Allemagne vient de décider une baisse de impôts sur les entreprises de 32 Md€ en 4 ans et le gouvernement britannique a annoncé une déduction fiscale sur 9 Md€ par an sur les investissement des entreprises.
Car n’oublions pas que la France reste un pays qui surtaxe son appareil productif. Les impôts de production demeurent à un niveau très élevé : après prise en compte des nouvelles baisses de 2023 et 2024, l’écart restera de l’ordre de 30 Md€ par rapport à la moyenne de l’UE 27 et de 60 Md€ par rapport à l’Allemagne. La suppression de la Contribution de solidarité des sociétés (C3S) (4 Md €) devrait être une priorité : elle est qualifiée par le Conseil d’analyse économique (CAE) comme étant « l’impôt le plus nocif à supprimer en priorité ». Cette taxe sur le chiffre d’affaire « réduit la compétitivité des entreprises jouant comme une taxe sur les exportations et une subvention aux importations ». Sa suppression pourrait améliorer la balance commerciale manufacturière de 5 Md€ d’après le CAE.
2. Foncier, simplification administrative, formation, ministère dédié : la bataille de la réindustrialisation est encore loin d’être gagnée
Dans son rapport sur l’attractivité remis à la première ministre en décembre 2023, Charles Rodwell, député Renaissance des Yvelines, insiste sur l’importance de la sécurité juridique des investissements. Au cours de ses travaux, le député a par exemple "été confronté à des dizaines de situations, parfois ubuesques, dans lesquelles les 'changements de pied' de l'administration concernant l'application d'une norme ou d'une décision ont conduit à l'abandon d'un projet d'implantation ou de développement porté par des investisseurs français ou étrangers, indique le rapport, la sécurité juridique des projets industriels constitue donc un enjeu prioritaire pour notre politique d'attractivité". Il propose de généraliser le contrat d'implantation mis en place dans les Hauts-de-France depuis 2017. Concrètement, cela consisterait en un engagement contractuel entre l'Etat, la région et l'agglomération d'accueil, pour une durée de cinq ans, pour sécuriser l'investisseur dans le développement de son projet d'implantation ou d'extension, dans un cadre juridique pré-défini, stable et garanti (stabilité totale de la réglementation locale et nationale applicable au projet, pour une durée de cinq ans à compter de la signature du contrat).
Une loi PACTE II, dédiée à la simplification administrative, pourrait venir concrétiser ces propositions au cours du premier semestre 2024.
La question du foncier est également un enjeu fondamental pour remporter les grandes implantations industrielles. Si Tesla et Intel se sont installés en Allemagne, c’est en partie parce que la France n’a pas su proposer des grands terrains rapidement constructibles. La France ne doit pas rater une prochaine usine Tesla ou MG/SAIC pour cette raison.
Le dispositif « sites industriels clés en main » a permis d’accélérer de nombreuses implantations, mais la disponibilité des terrains n’est pas toujours à jour et la France ne dispose toujours pas d’un stock suffisant de grands terrains rapidement constructibles. Un recensement de terrains industriels a été relancé à l’automne par le gouvernement car il y urgence : une étude récente estimait que la France a besoin de 20 000 hectares de terrains industriels d’ici 2030 si elle souhaite se réindustrialiser.
Pour concrétiser administrativement la place centrale donnée à la politique industrielle, l’économiste Christian Saint-Etienne propose la création d’un puissant ministère de la Réindustrialisation également responsable de la politique énergétique, de l'innovation et de la formation professionnelle. Le récent rattachement de l’énergie à Bercy est un premier pas.
3. Les inquiétudes des industriels sur la valorisation de l’atout nucléaire
Alors que l’intensité carbone devient un critère d’achat pour le consommateur et que le prix de l’énergie est fondamental dans les décisions d’investissements, la France bénéficie d’une électricité parmi la plus décarbonée (53 vs 414 gCO2eq/kWh pour l’Allemagne) et compétitive d’Europe en terme de coût de production grâce à la production nucléaire. Mais l’accord trouvé entre l’Etat et EDF en octobre 2023 concernant la fixation des prix de l’électricité à partir de 2026 inquiète l’industrie française. La CLEEE, une association d'entreprises grandes consommatrices d'énergie dénonce « un grand pas en arrière pour les entreprises françaises » : elle anticipe un doublement du prix moyen de l’électricité par rapport à la situation actuelle. De plus, le mécanisme issu de l’accord est fait de telle façon à ce que les prix de l’électricité d’une année n ne sera connu qu’en année n+1 (mécanisme de rétrocession à posteriori) ce qui entraîne une perte de visibilité pour les entreprises, compliquant ainsi les décisions d’investissements et la planification des budgets.
Si Bercy prévoit des dispositifs spécifiques et encourage la signature de contrat long-terme entre les industriels électro-intensifs ou grands consommateurs et EDF, il faudra, pour y voir plus clair, attendre le projet de loi prévu pour matérialiser l’accord entre l’Etat et EDF (1er semestre 2024).
Conclusion
Après une année 2023 mitigée concernant les implantations de méga-usines en France, il est néanmoins possible de confirmer la tendance positive avec ces 6 grands projets industriels représentant 6,5 Md€ d’investissements et 5 500 emplois dont le lieu d’implantation devrait être décidé en 2024.
Attirer ces méga-usines s’inscrit dans la bataille pour la réindustrialisation qui est encore loin d’être gagnée : le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB en France a continué de baisser pour s’établir à 9,5% en 2022, contre 14,8% dans la zone euro et 18,4% en Allemagne.
Ces 6 projets d’implantation sont représentatifs des industries clés des décennies à venir : vaccins ARN, batteries et véhicules électriques. Les attirer permettrait à la France et à l’Europe de se positionner sur les industries qui feront la souveraineté et la prospérité des années 2030 et 2040.
Attirer 3 de ces 6 projets serait un très beau résultat pour la France :
on peut se permettre d’être optimiste concernant l’usine Moderna : l’entreprise a déclaré vouloir faire son usine européenne en France et attend une réponse du gouvernement ;
attirer Skeleton Technologies, Umicore ou Alteo-Wscope permettrait de conforter l’écosystème de la Vallée de la batterie des Hauts-de-France ;
réitérer le succès « Toyota Valenciennes » en gagnant une usine automobile chinoise permettrait de consolider la production automobile française et de réduire un déficit commercial automobile qui a atteint 20 Md€ en 2022 ;
enfin, attirer une usine Tesla serait une victoire prestigieuse, l’entreprise d’Elon Musk étant à l’avant-garde de l’automobile électrique.
J’espère aussi que de nombreux projets sont passés sous mon radar. Nous verrons si le prochain sommet Choose France, qui devrait se tenir en mars 2024, apporte son lot de bonnes nouvelles…
Etude publiée en collaboration avec le think tank Le Millénaire.