Sur Napoléon
« Par son Code, son Université, ses préfets, Napoléon a régné en France jusqu’en 1940 »
Une courte annonce pour commencer : 8 mois après son lancement, vous êtes plus de 1 200 abonnés à Chroniques occidentales. Merci pour votre intérêt et vos retours très positifs sur la conversation avec l’ambassadeur lituanien : je ferai des entretiens plus régulièrement à l’avenir.
Chers lecteurs,
comme vous le savez peut-être, le film de Ridley Scott sur Napoléon sort dans quelques jours. Je sais que comme moi, vous serez nombreux à aller voir ce biopic retraçant la vie de l’empereur.
Dans mes lectures, j’ai souvent croisé des avis, opinions ou remarques sur Napoléon. Je voulais dans cet article rassembler les plus intéressantes à mes yeux. Vous y croiserez historiens, écrivains et hommes politiques. Mais avant cela, je vais tracer une courte biographie de Napoléon pour nous rafraîchir la mémoire.
Courte biographie de Napoléon
Napoléon Bonaparte est né le 15 août 1769 à Ajaccio. Il entame une carrière militaire et gravit rapidement les échelons pendant la Révolution française. Après les campagnes d’Italie et d’Egypte, il renverse le gouvernement du Directoire en 1799 lors du coup d'État du 18 Brumaire et prend le pouvoir en devenant Premier Consul. Il consolide les acquis de la Révolution, comme l’égalité devant la loi, et lance d’importantes réformes administratives : création de la Banque de France, des préfets, du lycée ou la rédaction du Code civil.
En 1804, Napoléon se couronne empereur des Français, marquant le début de l'Empire français. Affrontant une coalition dirigée par l’Angleterre, la Grande Armée amorce alors une conquête de l’Europe dont la célèbre victoire d’Austerlitz en 1805 est un des symboles (ici une vidéo expliquant la stratégie de Napoléon durant la bataille).
Cependant, les campagnes d’Espagne en 1808 et surtout de Russie en 1812 marquèrent le début de sa chute. Après sa défaite à la bataille de Leipzig en 1813, Napoléon fut exilé à l'île d'Elbe en 1814. Il parvint à s'échapper et revint brièvement au pouvoir lors des Cent-Jours en 1815, mais fut finalement vaincu à la bataille de Waterloo, qui mit un terme définitif à son règne. L’empereur déchû fut exilé sur l'île de Sainte-Hélène, dans l’océan Atlantique sud, où il passa les dernières années de sa vie et dicta ses mémoires. Il meurt le 5 mai 1821.
Considérations sur Napoléon
Mon choix s'est porté sur Georges Pompidou, René Grousset, Jacques Bainville et Charles de Gaulle car j’ai trouvé leurs réflexions sur l’épopée napoléonienne particulièrement instructives.
Georges Pompidou, Président de la République (1969 - 1974)
En août 1969, George Pompidou, tout juste élu Président de la République, se rend à Ajaccio pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Napoléon. Il y prononce un discours dans lequel il déclare :
“Le génie de Napoléon domine notre histoire comme il préfigure l'avenir de l'Europe. C'est à lui que nous devons l'essentiel des institutions qui, au travers des siècles et en dépit des évolutions indispensables, constituent encore l'armature de notre pays. (…) Napoléon n'a pas trouvé le bonheur et ne l'a pas donné à la France. Mais, à défaut de bonheur, il a atteint aux cimes de la grandeur et en a comblé la France, au point que depuis, notre peuple ne s'est jamais résigné à la médiocrité et a toujours répondu à l'appel de l'honneur.”
Cette déclaration de Georges Pompidou est à mettre en parallèle avec sa propre épitaphe, rédigée juste après son élection à la présidence de la République : « Les peuples heureux n'ont pas d'histoire, je souhaiterais que les historiens n'aient pas trop de choses à dire sur mon mandat ». En rupture avec la recherche napoléonienne de gloire, Pompidou préfère ancrer son action politique dans une tranquille quête du bonheur, en accord avec les aspirations des Trente Glorieuses.
René Grousset, historien
René Grousset est un de mes historiens favoris : je ne peux que vous recommander son magistral Bilan de l’histoire écrit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mort en 1952, il fut membre de l’Académie française et conservateur en chef du Musée national des Arts asiatiques (ou Musée Guimet). En 1949, il écrit Figures de Proue, ouvrage dans lequel il retrace la vie de quelques grandes figures historiques telles César, Charlemagne ou Bismarck. Un chapitre est dédié à Napoléon : l’historien n’est pas tendre avec l’empereur. S’il salue le Bonaparte homme d’Etat - “par son Code, son Université, ses préfets, Napoléon a régné en France jusqu’en 1940”, il est très critique sur le conquérant : il lui reproche son romantisme et ses grandes épopées qui ont finalement affaibli la France. Alors que le pays sortait d’une décennie (1789 - 1799) de troubles révolutionnaires et qu’il aspirait à de la stabilité, Napoléon lui imposa une décennie de guerre (1805 - 1815) : “La France arrivait au port. Il s’empara du navire et le rejeta en haute mer”. Pour Grousset, cette soif de conquête vient surement de sa formation exagérément classique et latine : toute sa vie, Bonaparte a voulu refaire l’empire romain. En ce sens, Napoléon est bien un homme de son époque, obsédée par l’héritage romain et grec. “On nous élevait dans des écoles de Rome et d’Athènes” écrivait le révolutionnaire Camille Desmoulins à propos de l’éducation reçue au collège (à ce propos, voir mon article Aux sources de la civilisation occidentale).
Jacques Bainville, historien
Jacques Bainville est un historien et journaliste français connu pour son Histoire de France, écrite en 1924 et encore beaucoup lue aujourd’hui ainsi que pour Les Conséquences politiques de la paix, ouvrage prémonitoire publié en 1920 dans lequel il annonce l’engrenage menant à la Second guerre mondiale. Il écrit également une biographie de Napoléon en 1931 dans laquelle il montre de l’admiration pour le génie du Bonaparte stratège militaire mais déplore la mégalomanie de la fin du règne qui effaca les conquêtes et acquis du début, c’est à dire la stabilisation de la société française après la Révolution. Bainville écrit :
« Sauf pour la gloire, sauf pour l'art, il eût probablement mieux valu qu'il n'eût pas existé. »
Il reprend là une phrase que Napoléon aurait prononcé alors qu’il allait voir la tombe de Rousseau, dont le Contrat social a inspiré la Révolution française : “l'avenir apprendra s'il n'eût pas mieux valu, pour le repos de la terre, que ni Rousseau ni moi n'eussions jamais existé ”. Malgré ses réserves sur l’épopée napoléonienne, Bainville ne peut cependant que constater que « la magie du nom de Napoléon est un des phénomènes les plus étonnants de l'histoire du peuple français ».
Charles de Gaulle, Président de la République (1958 - 1969)
“Ce que fait Napoléon jusqu’en 1808, c’est parfait”.
C’est ce qu’aurait dit le Général à André Malraux. Dans Les Chênes qu’on abat, l’écrivain relate ses discussions avec un de Gaulle en fin de vie, retiré dans sa maison de Colombey-les-Deux-Églises. Ils parlent d’histoire, de politique et d’écriture. De Gaulle admirait Napoléon mais lui reprochait sa démesure qui causa sa chute finale. Il aurait dû se contenter de ses succès initiaux. Comme Napoléon, de Gaulle est un militaire qui restaura une certaine unité nationale après une période de grand trouble. Comme Napoléon, de Gaulle a laissé un héritage institutionnel traversant les décennies avec sa Ve République. Cependant, en démissionnant après un référendum perdu, de Gaulle sut lâcher le pouvoir.
Ces deux personnages historiques ont laissé à la France des épopées historiques auxquelles se raccrocher. Les nations ont aussi besoin de mythes pour se construire comme l’explique l’historien Patrice Gueniffey :“Napoléon et de Gaulle ont laissé un héritage immatériel plus important encore : un motif de fierté collective, un modèle d’efficacité politique, un exemple de courage, une illustration des pouvoirs de la volonté et, l’échec final de Napoléon aidant, une leçon philosophique sur la « mesure » indispensable au gouvernement des hommes”1. Plus fondamental encore, ils ont donné une unité à un pays qui en était initialement dépourvu. Contrairement à l'Allemagne qui partageait une langue et une culture communes avant même d'être unifiée par Bismarck, aucun destin commun n’unissait a priori des régions et des villes aussi différentes que Dunkerque la flamande, Strasbourg la germanophone, Nice l'italienne, Perpignan la catalane ou Toulouse l'occitane. Comme l’écrit Patrice Gueniffey, « la France ne peut se passer, pas plus que d’un État fort, de grands hommes ou de héros. Ils figurent son introuvable unité »2. Avant la Révolution, c’est le roi qui assurait ce rôle d’unificateur. Après, c’est l’Etat et les “grands hommes” qui prennent le relais.
Conclusion
S’ils admirent ses succès initiaux et son oeuvre administrative, tous lui reprochent son hubris. Napoléon fut "vaincu par sa conquête" écrit Victor Hugo à propos de la campagne de Russie. Son ambition démesurée mena à sa perte. Le paradoxe étant que c’est cette même ambition démesurée qui explique pourquoi il n’est pas resté un lieutenant anonyme mais est devenu un personnage historique hors du commun dont nous parlons toujours deux siècles après sa mort. Il se voyait comme un météorite et la France fut pour lui l’outil avec lequel il a construit son épopée. Il écrit un jour à son épouse Joséphine : « je n’ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l’ambition qui me tiennent éloigné de l’âme de ma vie ».
Alors, que penser de l’aventure napoléonienne ? Laissons le dernier mot à de Gaulle.
- « Où en êtes-vous avec l'Empereur ? » demande André Malraux au Général au cours d’une conversation à Colombey-les-Deux-Églises.
- « Un très grand esprit, et une assez petite âme. (…) Il a laissé la France plus petite qu'il ne l'avait trouvée, soit ; mais une nation ne se définit pas ainsi. Pour la France, il devait exister. C'est un peu comme Versailles : il fallait le faire. (…) Voyez comme les défaites ont peu atteint la gloire de Napoléon. Voyez la force de son nom, pas seulement pour les Français. Il remue les âmes ».
Et le Général de conclure : « Ne marchandons pas la grandeur. »3
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“Napoléon Bonaparte et Charles de Gaulle”, article de Patrice Gueniffey dans La Revue politique et parlementaire, 10 août 2021
Napoléon et de Gaulle est un livre de Patrice Gueniffey paru en 2017
Les Chênes qu'on abat... est un livre d'André Malraux paru en 1971
J'aime beaucoup vos articles monsieur. J'ai recommandé le site à des groupes où nous apprenions le français. Le "Passe simple" n'est pas enseigné lors de l'apprentissage du français. J'ai vu beaucoup de passe-simple dans les écrits de Napoléon. Si vous écrivez le passé avec des temps tels que " passe compose "imparfait" ou même plus que parfait, cela sera plus bénéfique pour les étudiants en langues. Salutations de la capitale Ottomane aux petits-enfants de François !
Je viens apporter la contradiction aux propos de Patrice Gueniffey, la France est autant une nation ethnique que l'Allemagne à l'époque de Bismarck et si ce n'était pas encore le cas sous Clovis, c'était pareil pour l'Allemagne qui était divisée entre des aires linguistiques germaniques, slaves(Est de l'Elbe), gallo-romanes(Rhénanie).
La France est autant une nation ethnique que l'Allemagne, c'est l'ancienneté de l'unification étatique qui diffère